La société algérienne face au changement

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L’islam et la laïcité : Entre malentendu lexicologique et refus de voir plaquer un concept ressenti comme étranger

L’islam et la laïcité : Entre malentendu lexicologique et refus de voir plaquer un concept ressenti comme étranger Aborder la question de la laïcité en la confrontant à un point de vue que l’on pourrait qualifier de « musulman » semble être a priori une gageure et surtout, une volonté d’analyser le monde de l’Islam à travers la seule expérience du monde de
la Chrétienté occidentale, quand bien même celle-ci ne brillerait plus des feux qui furent les siens dans les siècles passés. 
Par Dominique Gaurier(*)  Effectivement, il peut y avoir un net décalage entre deux cultures et deux mondes qui, pour être religieux, ne fonctionnent aujourd’hui pas du tout selon les mêmes critères de réflexion, sans pour autant en exagérer outrageusement les différences. Mais il ne faut, en effet, pas mettre sur un même plan des sociétés qui ont connu un développement économique, social, politique et une véritable révolution dans la pensée, avec l’introduction des méthodes d’analyse critique du discours écrit ou parlé, très différent. Les sociétés que l’on qualifie aujourd’hui de développées, au moins sur un plan socio-économique, qui sont les sociétés occidentales et qui se réclament d’un arrière-fond chrétien, sont effectivement très différenciées des sociétés de la culture musulmane contemporaines. Ces dernières en effet, pour une très large part, restent parfois ancrées dans une forme de sous-développement culturel et social, eu égard aux régimes politiques qui dominent ces sociétés. Le plus souvent, on a alors affaire à des sociétés tenues par des castes militaires dictatoriales, qui ne cherchent qu’à préserver leurs prébendes et leurs revenus captés sur une richesse publique non partagée. 

Par ailleurs, il est difficile de parler d’un monde musulman qui serait une forme d’unité, ou qui formerait un seul bloc, comme le pensent avec trop de facilité de nombreux pays du monde occidental : en effet, ce monde est partagé, comme les autres, de courants et de mouvements divers, de cultures et de peuples très différents ; tout cela interdit à qui veut être un peu sérieux de considérer ces aires culturelles et politiques de façon trop sommaire et surtout de façon uniforme. Sans trop insister là-dessus, soulignons qu’il y a peu de rapport entre ce que fut le berceau de l’Islam, la péninsule arabique, et l’Islam indonésien, qui est le plus important en nombre, ou encore les mondes iranien, ou turc, ou encore maghrébin. Sans doute le lien religieux y est-il perçu comme une forme de parenté spirituelle, mais il reste que les pratiques sont souvent assez éloignées les unes des autres, les sensibilités aussi, car les terreaux culturels qui se sont progressivement imprégnés de l’Islam n’étaient au départ pas les mêmes, les langues aussi. Assurément, l’uniformisation des modes de vie religieux, de plus en plus formatés par une forme de multinationale islamique sous la tutelle du wahhabisme sacûdien, peut donner à croire à l’inverse. Il existe en effet une nette tendance à vouloir un effacement absolu des cultures propres de chaque pays avec le port d’un uniforme jugé comme « islamique » – le voile pour les femmes, quand il n’est pas intégral, et la barbe pour les hommes, le rejet de la musique et largement des arts visuels. Les résistances semblent faiblir, mais pas de façon identique partout au sein de ces cultures musulmanes. Au regard des langues, il suffit de voir que la plupart du temps, le texte lui-même du Livre Sacré, qui est appris par cœur, n’est souvent généralement pas compris de ceux qui le ressasseront par la suite, sans même savoir ce qu’ils disent, un peu comme autrefois pour les formules de la messe en latin, connues par cœur, mais largement ignorées quant à leur signification. L’arabe comme langue coranique n’a pas toujours de rapport direct avec les arabes parlés aujourd’hui dans les différentes aires du monde musulman. Ainsi, l’arabe littéral parlé en Algérie par les élites politiques est très éloigné de l’arabe dialectal parlé par la masse algérienne : ce sont là deux mondes qui ne communiquent pas entre eux, ce qui permet à la sphère politique de capter pour elle seule les revenus du pouvoir. Nous le disions tout de suite, sans doute ces mondes musulmans sont-ils traversés par un sentiment vague et lointain d’appartenance commune à une même foi, partagée à travers une même langue canonique, la langue arabe, qui est celle qui porte la prière et les rituels de la pratique religieuse. Cette langue commune, réputée être celle dans laquelle Dieu a choisi de s’adresser à l’humanité par l’intermédiaire de son Prophète Muhammad, est devenue ainsi une langue sacrée et forme le ciment d’une quête toujours à venir vers la constitution d’une seule communauté des croyants, telle que la formatent via les réseaux de la toile ceux qui se veulent les censeurs du bon comportement islamique. Il faut s’arrêter un peu sur cette dernière notion, qui est essentielle aux yeux des croyants et qui forme aussi une revendication majeure de certains courants que les musulmans qualifient eux-mêmes d’« extrémistes », mutat ’arifin :
la Umma. Certains ont rattaché ce terme à l’idée de « matrice » à partir du mot arabe umm, qui signifie « mère ». Or, l’origine de ce terme semble devoir plutôt être recherchée dans l’hébreu ummâ, qui signifie « tribu », ou « peuple », le terme hébreu étant lui-même repris du sumérien. De fait, le terme courant en arabe pour exprimer ces mêmes notions est qawm. Si le terme umma est utilisé dans le Coran à plusieurs reprises, c’est seulement pour l’appliquer à certaines communautés ethniques, linguistiques, ou religieuses, qui sont l’objet du plan divin, donc en tout cas pas pour désigner systématiquement une communauté d’hommes « craignant Dieu ». De plus, l’emploi de ce terme umma dans le Coran ne semble pas avoir été postérieur à l’année 625, sans doute sous l’influence d’une structure politique qui avait tendance à devenir plus complexe, mêlant dorénavant musulmans et ceux qui dépendaient d’eux(1). Reste qu’aujourd’hui la reconstitution de
la Umma, avec en vue l’idée de renouer avec la perspective inégalée du gouvernement de Médine du vivant du Prophète, reste fortement implantée dans la conscience religieuse collective et sert aussi d’argument aux extrémistes de tout bord pour articuler leur revendication à plus de pureté, au rejet des valeurs occidentales venues corrompre la pureté d’un Islam fantasmé. 
Tout cela permet alors de rendre compte de la difficulté qu’il y aura de vouloir apporter au sein de cultures qui ne se sont jamais véritablement appropriées et n’ont pu même s’approprier le concept de laïcité tel qu’il a pu se développer au sein d’un monde occidental de culture très largement chrétienne, qui ne peut paraître que comme un placage artificiel ; n’oublions pas que cela dut être le cas dans
la France du début XXe siècle, une France largement restée traditionnelle et rurale, quand la loi de 1905 s’appliqua dans une France restée fondamentalement et populairement catholique. Il est donc absolument nécessaire de prendre garde que ce qui résulte de l’histoire culturelle des uns ne peut absolument pas, sous couvert d’une forme d’universalité prétendue, se transposer tel quel dans des sociétés traversées par d’autres cultures et qui n’ont pas porté ces mêmes expériences. Ce que l’on dit là de la laïcité pourrait également se dire de la démocratie parlementaire, jugée comme modèle valable pour tous pays et toutes cultures de façon universelle, sans tenir aucun compte de l’histoire et des cultures propres à chacun, qui ne peut intégrer les réformes de son propre système qu’à partir de son expérience propre et de son terreau culturel spécifique. Il suffit de regarder les illusions qui dominent encore largement certaines grandes puissances, qui ont voulu « démocratiser » par le biais d’une guerre « de libération », des terres absolument pas prêtes à comprendre et recevoir un discours à la fois ignorant et stupide, notamment en Irak, en Afghanistan, et on peut encore y rajouter aussi bien des pays d’Afrique, pas nécessairement musulmans. 

Il est donc nécessaire pour nos cultures de se faire plus modestes, mais aussi de savoir mieux partager des valeurs importantes, car nos cultures n’ont pas absolument tout raté, ni démérité : l’on peut mettre à leur crédit l’idée de droits fondamentaux de l’être humain. Reste que nous n’en sommes cependant pas non plus devenus forcément les meilleurs promoteurs… Laissons maintenant de côté ces trop longs préliminaires, cependant nécessaires pour mettre l’esprit en éveil et l’appeler à la prudence et venons-en au thème qui nous rassemble ici, qui est celui d’une possible laïcité dans les mondes musulmans, coincée entre un malentendu linguistique et la difficulté dans laquelle sont les cultures musulmanes à s’ouvrir « aux fondements philosophiques et aux fonctions juridiques et culturelles de la laïcité », pour reprendre ici Mohammed Arkoun.(2) 
 1 – Le malentendu linguistique 
Il faut reconnaître que l’idée de laïcité a connu un départ difficile dans la langue arabe, car le premier terme choisi pour en exprimer l’idée par les élites occidentalisées de langue arabe à la fin du XIXe et au tout début du XXe siècle a été celui de lâdîniyya, qui ,traduit littéralement, signifie très exactement « pas de religion ». Le moins que l’on puisse dire est que le choix de ce terme était pour le moins maladroit et ne pouvait absolument pas recevoir l’adhésion tant des élites religieuses, souvent puissantes et respectées, que des masses souvent très peu cultivées, elles-mêmes largement encadrées par ces mêmes élites religieuses respectées par elles au plus haut point, car c’était elles qui assuraient leur encadrement tant juridique que moral. Les élites occidentalisées qui avaient eu recours à ce terme étaient elles-mêmes fortement éloignées de la majorité de la population, tant par leur niveau culturel, souvent acquis à l’aune des formations dans des écoles de type occidental et au contact des idées philosophiques et morales portées par leurs maîtres occidentaux. Le gouffre entre elles et les masses était devenu infranchissable et leur souci de promouvoir une modernisation sociale et politique à marche forcée, à l’imitation des pays puissants qui s’étaient fait leurs maîtres et leurs colonisateurs, les avait conduites à penser que l’Islam et son immobilisme étaient les facteurs du retard acquis, d’où l’idée un peu facile de se débarrasser des pesanteurs que la tradition et la religion avaient accumulées. C’est ce contexte qui permet de comprendre pourquoi ce terme maladroit fut retenu. Maladroit, a-t-on dit, parce que l’Islam ne pouvait concevoir que l’on prône l’irreligion, surtout à un moment où il constituait souvent lui-même un facteur de réunion et de cohésion pour affronter la pression extrême des pays colonisateurs. Mais le mal était fait, d’une certaine façon. Aussi, bien que l’on soit amené à retenir un autre terme par la suite, celui d’ilmâniyya (terme formé sur le mot calam, qui désigne le monde sensible), que l’on pourrait traduire par « sécularisation », mais que les dictionnaires arabes traduisent toujours par « laïcité », qui est plus prudent et ne semble pas attaquer de front la religion ; mais les milieux religieux et traditionnels ont savamment entretenu l’amalgame entre laïcité et « athéisme », ou ilhâd, tel qu’ils avaient cru le percevoir à travers le premier terme qui refusait une place à la religion. 

Un autre terme, qui n’est jamais utilisé au cœur de ce débat et qui serait pourtant utile est le terme arabe de dûniâwîyya, qui pourrait aussi assez exactement coller à l’idée de « sécularisation », ou de « mondanité », dans le sens de ce qui appartient au monde, ou au siècle. Reste que le débat reste toujours très vif au sein des milieux orthodoxes, mais aussi extrémistes, voire les milieux politiques soucieux de préserver leurs prébendes et se concilier l’assentiment et la bienveillance des autorités religieuses nationales (comme en Algérie ou au Maroc), quand bien même un troisième terme, cette fois-ci calqué sur un mot repris aux langues occidentales, est intervenu avec l’emploi aujourd’hui du mot laikiyya et de l’adjectif laikî. Ce dernier terme recèle lui-même souvent une vision moins « laïque » que celle que laisse supposer le mot : en effet, la notion emporte généralement au Maghreb la signification de ce qui représente l’ancien pouvoir des coloniaux et leur volonté de maintenir une forme d’emprise culturelle sur les populations. Il provoque alors un rejet d’autant plus fort que, partagé tant par les élites nationales maghrébines que par les autorités religieuses, 1’lslam comme tel est bien ressenti comme un patrimoine indissociable et inaltérable des populations, sans lequel elles perdraient une bonne part de leur identité. C’est ainsi que toute velléité laïque se voit aussitôt dévaluée et dénigrée, car elle est vue comme une forme de mainmise de l’Occident sur des élites qui, pour certaines d’entre elles, sont considérées et surtout présentées comme ayant perdu leur âme pour accéder à des valeurs qui ne se reconnaissent plus comme proprement musulmanes. Il faut par ailleurs inscrire les tentatives de laïcisation de la vie politique et des sociétés dans le cadre de la décolonisation, le plus souvent conduite par des régimes qui ne sont rien moins que dictatoriaux, ou dans le cadre de réformes radicales qui ont largement obéré le sort du commun de la population avec beaucoup de promesses, mais trop peu de résultats tangibles et perceptibles ; aussi, le discrédit s’est-il durablement installé quant à toute tentative ultérieure de « modernisation » de la chose politique qui ne soit pas proprement musulmane. En d’autres termes, les sociétés malmenées par des politiques coûteuses et généralement peu participatives se sont arc-boutées progressivement sur un rejet général de tout ce qui avait une couleur d’Occident, tout en aspirant à une même modernité qui implique une participation aux richesses et au bien-être, ce qui est pour le moins paradoxal ; ces populations ont reproché et continuent de reprocher aussi aux puissances appelées « occidentales » leur double discours les appelant à une modernisation politique avec une « démocratisation », tandis que ces mêmes régimes occidentaux se satisfaisaient et soutenaient fortement les régimes les moins démocratiques, comme on le voit encore aujourd’hui avec la politique française frileuse à l’égard du régime de Ben Ali en Tunisie, du roi du Maroc qui musèle aujourd’hui sa presse et a pourtant été consacré sans rougir par un ministre de
la République française comme meilleur protecteur des droits de l’homme, ou encore en Algérie, tandis que l’on fait des risettes au régime baâthiste de
la Syrie qui, pour être une puissance régionale, n’en est pas moins une dictature policière et militaire. Les arguments des extrémistes ont beau jeu de surfer très à l’aise sur cette hypocrisie réelle de ceux qui veulent leur faire la leçon. De fait, c’est le thème de l’irreligion qui est au cœur de l’ensemble des discours extrémistes, de l’extrémisme mou à l’extrémisme radical. 
Il est d’autant plus en vogue que ce n’est pas tant l’idéal religieux qui est proposé qu’une forme de marque « franchisée » sur la toile aux couleurs d’un Islam devenu norme du bon comportement social. On retrouve au cœur des discours tenus par ces différents groupes des thèmes qui ont beaucoup emprunté à celui qui les inspira probablement tous, Sayyid Qutb (1906-1966), qui fut condamné à mort et pendu sous Nasser, et qui publia un commentaire du Coran, intitulé Fî zilâl al-qur ’ân, ou A l’ombre du Coran, texte qui reste un phare pour les divers mouvements extrémistes. Sayyid Qutb entendait en effet dans ce texte s’attaquer à la jâhiliyya, ou l’incroyance, l’ignorance, le paganisme et affirme que c’est là un combat « épuisant, épreuves terribles, persévérance dans la mission, affrontements avec le paganisme en affirmant ce que les puissants partout et toujours haïssent le plus au monde : ‘‘Il n’est de Dieu que Dieu’’ »(3). Bien qu’en moins violent sans doute, c’est bien là la même chose qu’avait déjà annoncée le fondateur des Ikhwân al-muslimûn, ou Frères musulmans(4), Hassan al-Banna (1906-1970) qui, au sortir de la seconde Guerre Mondiale, affirma que la cité d’Occident était en faillite et que son hégémonie arrivait à son terme ; devait alors lui succéder le triomphe de l’Islam : « Voici donc l’Occident : après avoir semé l’injustice, l’asservissement et la tyrannie, il est perplexe et gigote dans ses contradictions, il suffit qu’une puissante main orientale se tende, à l’ombre de l’étendard de Dieu sur lequel flottera le fanion du Coran, un étendard dressé par l’armée de la foi, puissante et solide, et le monde sous la bannière de l’Islam retrouvera calme et paix »(5). Ce qui fait que chez lui, tout l’effort de laïcisation qui avait été fait au XIXe est contesté, car l’une des devises constantes des Frères musulmans sera « Le Coran est notre Constitution », bien que, dans l’analyse qu’il fait des régimes politiques existants, il semble finalement plus accommodant et « occidentalisé » qu’il ne le dit en principe, bien que chez lui, le thème de la nation posât toujours un réel problème, puisqu’il lutta contre le nationalisme arabe et lutta même contre la création du parti baâth (Résurrection), créé par Michel Aflaq en 1941. Mais c’est là un autre débat. 

NOTES :
 1- Sur le terme umma, on pense aujourd’hui que le mot a été emprunté à l’hébreu ummâ, qui signifie « tribu » ou « peuple » et qui et peut-être lui-même repris du sumérien, alors que le terme arabe courant pour exprimer ces mêmes notions est qawm. Si le Livre saint de l’Islam, le Qur ’an, utilise souvent le terme de umma, c’est seulement pour l’appliquer à certaines communautés ethniques, linguistiques ou religieuses qui sont l’objet du plan de salut divin. Il apparaît cependant aussi très clairement que le terme ne renvoie pas systématiquement à une communauté d’hommes « craignant Dieu », car ce même Livre mentionne aussi la présence de nombreuses communautés ainsi dénommées en enfer (Qur. VII, 38). Par ailleurs, l’emploi de ce terme dans le livre ne semble pas avoir été postérieur à 625, sans que l’on puisse véritablement expliquer pourquoi : peut-être parce que la structure politique était devenue beaucoup plus complexe, mêlant musulmans et ceux qui en dépendaient. Cf. à ce sujet les observations faites par W. M. Watt in La pensée politique de l’islam, P.U.F. (coll. Islamiques), Paris 1995, pp. 9-14 et R. Paret, art. « umma » in First Encyclopœdia of Islam 1913-1936, rééd. Brill, Leiden 1987, vol. VIII, pp. 1015-1016) ; également Louis Massignon, L’Umma et ses synonymes : notion de ‘‘communauté sociale’’ en Islam, in Revue des Etudes islamiques, 1941-1946, pp. 151-157.
 2- Cf. Muhammad Arkoun, Islam, morale et politique, Desclée de Brouwer 1986, p. 48.
 3- Cf. O. Carré, Mystique, le Coran des islamistes. Lecture du Coran par Sayyid Outb, frère musulman radical, Cerf réed. Paris 2004, appendice, P. 307.
 4- Sur les Frères musulmans, on peut renvoyer à l’excellent petit ouvrage, malheureusement jamais republié, qui avait été proposé par O. Carré et G. Michaud, Les Frères musulmans (1928-1982), Gallimard/Julliard (coll. « Archives »), Paris 1983.
 5- Cité in Abdelwahab Medded, La maladie de l’Islam, Seuil, Paris 2002, tiré de Nahwa l-mûr, ou Vers la lumière, texte écrit en 1946 
2 – Inventaire des pays musulmans qui s’affichent comme « laïcs » On ne sera pas surpris de faire le tour des pays musulmans qui s’affichent comme laïcs en les comptant sur les doigts d’une seule main. Pourtant, beaucoup des mouvements qui visaient à se débarrasser de la tutelle coloniale, notamment dans deux des pays du Maghreb, Tunisie et Algérie, les revendications laïques étaient très présentes. Actuellement, un seul pays peut réellement s’affirmer comme étant un Etat laïc, même si cela tend à devoir être de plus en plus nuancé :
la République turque, depuis la révolution kémaliste, a toujours maintenu comme fondement de ses institutions la laïcité qui fait l’objet des trois premiers articles de
la Constitution de 1982, quand bien même ce serait sous une forme un peu détournée depuis le coup d’Etat militaire de 1980 et l’on verrait aujourd’hui une volonté du parti au pouvoir, l’AKP, en atténuer la rigueur. 
Certaines tendances propres à des régimes militaires du Moyen-Orient, en Syrie et en Irak, ont pu donner à penser, qu’à un moment, une forme de laïcité s’y développait, mais celle-ci est toute de façade, car non garantie par une Constitution qui renvoie toujours à la suprématie du Livre Saint de l’Islam. De même, on a pu croire qu’en Tunisie, voire dans l’Algérie postcoloniale, une forme de laïcité a pu apparaître ; là aussi, il n’en est rien, et les Constitutions renvoient de même à cette loi divine supérieure qui surplombe les institutions. 

En Tunisie, le Bourguiba des débuts de l’indépendance a su tenir tête aux religieux traditionalistes pour imposer une certaine laïcité, notamment en tenant tête aux shouyoukh de la faculté religieuse annexée à la grande mosquée Zituna de Tunis, pour faire adopter dans
la Constitution de 1957 les principes de liberté de conscience et d’expression. Mais, au fil de longues années de régime autocratique, il a été conduit à faire bien des concessions aux milieux religieux conservateurs, ne serait-ce que pour les récompenser d’avoir apporté leur caution au régime, sans négliger aussi les ferments de type populiste, afin d’éviter de choquer les sentiments populaires restés fondamentalement conservateurs. Quel revirement quand on a vu ce même Bourguiba dire en 1975 dans un de ses discours : « Si le régime présidentiel est l’un des régimes démocratiques adoptés dans les pays occidentaux, il a ses sources profondes dans l’Islam. La législation islamique n’en reconnaît pas d’autre… Le président n’est autre que l’imam dont l’investiture résulte du suffrage de la communauté nationale. L’imam dans l’Islam occupe une place considérable, l’obéissance qui lui est due fait corps dans le Coran avec celle qui est due à Dieu et au Prophète ». 
(6)
La Syrie, qui reste fondamentalement un pays à majorité musulmane sunnite, compte cependant quelques minorités chrétiennes, mais est dirigée par les membres d’un petit groupe considéré comme hérétique par la majorité musulmane, le groupe calawite, qui cultive une forme de religion de type gnostique et prend sa source dans un chiisme avec lequel il n’a plus de vrai rapport. C’est à cette bizarrerie conjoncturelle que
la Syrie se doit d’être officiellement laïque et, d’une certaine façon, protège aussi ses minorités religieuses des excès qui sont courants dans les autres pays à majorité musulmane. Mais nous sommes là très éloignés d’une laïcité à la française, acceptée et consentie largement par une majorité de la population : elle tient en effet beaucoup plus au caractère policier et militaire du régime, et continue de fonder l’idéologie du parti dominant sans partage la scène politique syrienne, le parti baâth. Il ne faut pas oublier que la famille Assad a entendu il y a quelques années se rattacher au chiisme duodécimain, la religion dominante en Iran. 
La même chose a pu être dite pour l’ancien Irak sous la gouvernance de Saddam Hussein, alors qu’aujourd’hui les différentes communautés religieuses reviennent à leurs vieux démons d’opposition, majorité chiite contre minorité sunnite, sans compter les Kurdes, qui ne sont pas des Arabes. Autrefois alliée du pouvoir et rejetée aujourd’hui pour cela, le tout sur le dos des communautés chrétiennes qui subsistent encore et qui n’aspirent qu’à quitter des terres chrétiennes depuis le début du christianisme, la communauté sunnite au pouvoir semblait protéger mieux ces dernières, du fait que minoritaires, les sunnites avaient aussi besoin de prendre appui sur d’autres minoritaires et de donner l’impression à qui voulait bien le croire d’être un régime officiellement « laïc ». Le seul pays musulman, mais non arabe celui-ci à se déclarer officiellement laïc est donc
la Turquie kémaliste. En effet, la laïcité est le fondement de
la République turque fondée par Mustafa Kemal. En 1924, Kemal supprimait le califat, et en 1937, il faisait introduire dans
la Constitution le principe de la séparation de l’Etat et de la religion. Le principe de laïcité a été par la suite constamment réaffirmé par les deux Constitutions suivantes en 1961 et en 1982. Cependant, il y a loin de la laïcité à la française à la laïcité alla turca, car c’est l’Etat qui continue à contrôler les activités cultuelles par le biais de la direction générale des Affaires religieuses, rattachée au Premier ministre et dirigée par un religieux. 

Les imams sont payés par l’Etat qui participe aussi à la construction des mosquées, quand les alévis (entre 20/25% de la population), les juifs et les chrétiens n’ont aucun de ces avantages, d’autant qu’à partir des années 1970, l’Etat turc a confisqué des biens appartenant à des communautés chrétiennes (rappelons la fermeture du séminaire orthodoxe d’Istanbul depuis une quarantaine d’années. Des discussions seraient en cours pour une éventuelle réouverture, mais qui traînent de façon indéfinie). Enfin, les citoyens non musulmans ne peuvent jamais accéder à des postes d’encadrement dans
la Fonction publique et dans l’armée, ce qui n’est pas sans poser de graves questions quant à une intégration future de
la Turquie à l’Union européenne. 
Cette laïcité a donc failli à sa mission de traiter l’ensemble des religions et des non religieux de manière égalitaire. Par ailleurs,
la République turque n’a jamais été véritablement à l’aise avec la sécularisation, ne serait-ce que parce que son processus n’implique pas nécessairement l’évacuation de la religion de l’espace public. Le retour du religieux dans l’espace politique date du passage au multipartisme en 1946 et reste très mal toléré par les élites attachées au kémalisme, notamment dans les milieux de l’armée et quelques groupes de kémalistes de type militaro-fachiste, comme les fameux « loups gris ». C’est ainsi que l’on a pu voir se créer en 1973 une opposition qualifiée de musukmane modérée avec le Parti du salut national, de la prospérité, de la vertu et de la félicité (AKP), arrivé aujourd’hui au pouvoir. 
Ce parti, qui proclame son adhésion à la démocratie et au principe de laïcité, porte aussi certaines traditions patriarcales de l’Islam (levée de l’interdiction du voile islamique pour les femmes enseignantes, médecins ou fonctionnaires sur leurs lieux de travail et volonté de lever cette interdiction aussi pour les étudiantes dans les universités d’Etat, mais port du voile libre dans les universités privées). Par contre, ce même parti semble bien peu disert sur la possibilité qu’auraient les femmes de ne pas se voiler sur la demande des hommes de leurs familles, avec une persistance également des crimes d’honneur surtout appliqués contre les femmes. Tant et si bien qu’aujourd’hui la société turque semble un peu écartelée entre une sécularisation qui avance de façon indiscutable, mais aussi où, comme aux USA, le religieux investit de plus en plus l’espace public, tout en rentrant dans un moule démocratique. Quant aux autres pays, hormis les rares moments des débuts de l’indépendance, comme en Egypte, en Algérie, ou aussi ailleurs comme sous le régime du Shah en Iran, la laïcité a fait long feu. Certains pays l’ont dès le départ rejetée, comme
la République libanaise, qui s’est construite sur une structure confessionnelle de l’Etat telle que définie par le pacte de 1943. La citoyenneté y est totalement tributaire de l’appartenance confessionnelle à l’une des communautés reconnues comme faisant partie du pays. 

Le problème est qu’aujourd’hui les rapports de proportionnalité qui existaient en 1943 ne sont plus pertinents aujourd’hui, notamment à raison d’un fort accroissement de la communauté chiite, désireuse de plus de participation aux structures du pouvoir et souvent utilisée comme fer de lance pour fomenter des troubles dans le pays, soutenue tantôt par
la Syrie, qui pleure la perte d’une région qu’elle a longtemps considérée comme lui appartenant, tantôt par l’Iran, autre puissance régionale qui tente de promouvoir une révolution islamique à l’image de la sienne en 1979. 
Reste que certaines élites religieuses du pays, notamment le mufti de
la République libanaise, le shaykh Hasan Khaled, avait dit en 1977 à l’occasion de l’anniversaire du Prophète : « La première réforme morale à laquelle nous aspirons (…) est l’abrogation du confessionnalisme politique à tous les niveaux (…). La religion ne peut être un motif de ségrégation et de division que chez les peuples arriérés incapables de saisir l’unité à travers la diversité des choses, des idées et des valeurs… »(7). Mais, aujourd’hui, verrait-on un responsable religieux de cette stature répéter ce propos ? On peut en douter. 
Peut-être faudrait-il dire un mot de l’Algérie. Il y a une petite particularité qui mérite d’être remarquée d’abord et qui remonte au temps où l’Algérie était terre française, c’est que jamais, je dis bien jamais, la loi de 1905 ne s’y est appliquée à l’Islam, car le pouvoir de
la République entendait garder le strict contrôle sur les différents personnels des mosquées, dont on pouvait craindre qu’ils fassent la promotion d’idées malvenues. Un seul pays prétendu, mais à différentes vitesses en fonction des populations concernées ! Reste qu’au départ des débats au sein des Algériens soucieux de se défaire de la tutelle française, dans la plate-forme de
la Soumman de 1956, sans y être précisément nommée, la laïcité semblait y être défendue, puisque l’objectif était « la lutte pour la renaissance d’un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale, et non la restauration d’une monarchie et d’une théocratie révolue. La révolution algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour instaurer une République démocratique et sociale, garantissant une véritable égalité entre les citoyens d’une même patrie et sans discrimination » (8). 
Un peu plus tard, le programme de Tripoli en 1962 réclamait « l’ouverture rationnelle sur la science, les cultures étrangères et l’universalité de l’époque », quand
la Constitution algérienne de 1963 posait que « 
la République algérienne assure à tous les citoyens sans distinction confessionnelle ou ethnique l’égalité devant la loi et garantit à chacun le respect de ses opinions, de ses croyances et le libre exercice des cultes ». Plus d’un quart de siècle d’un pouvoir bureaucratique et militaire sous la férule d’un parti unique, sans plus aucune légitimité démocratique, malgré les incantations de départ, a révélé ses échecs lors des émeutes du mois d’octobre 1988. Mais, dès le début des années 1970, une course s’était engagée entre les dirigeants du FLN et les islamistes pour la récupération d’un Islam traditionnel : de citoyens, les Algériens sont devenus des croyants, sous prétexte, disait en 1980 le ministre algérien des Affaires religieuses, qu’« avant d’être citoyen d’un Etat, le musulman est d’abord et avant tout un serviteur d’Allah ». 

(9) La politique d’arabisation, souvent menée en dépit du bon sens en Algérie, car faite par des Egyptiens qui ignoraient tout de l’arabe maghrébin, ont enseigné un arabe littéral, qui n’est pas compris du gros de la population, a servi aussi de prétexte pour islamiser les programmes scolaires et développer des enseignements religieux archaïques, tant dans le primaire que dans le secondaire. On a vu apparaître dès 1980 des instituts et facultés réservés aux enseignements religieux, en constant accroissement depuis la fin des années 1970 : en 1980, création à Alger de
la Faculté de la chariaâ islamique, puis de la faculté des sciences islamiques à Constantine ; mais c’est aussi la promulgation du nouveau code de la famille en 1983, élaboré sur la base d’une directive du ministre de
la Justice qui préconisait cela : les fondements sur lesquels ce code repose sont : le Coran, la tradition, le consensus, l’analogie, l’istihsân (ou équité, principe de préférence juridique), l’intérêt public et l’ijtihad (ou effort juridique) avec toutes ses conditions », afin d’« épurer la structure de la famille de tout ce qui n’est pas islamique ». 
En somme, c’est là un retour aux fondamentaux de la science juridique musulmane, mis en place aux VIIIe et IXe siècles de notre ère. Le résultat le plus tangible est que la femme est redevenue une mineure, soumise à la garde de son père ou de son mari. On peut douter que les combattantes de la révolution algérienne se soient battues pour ce résultat anachronique, mais le FLN, devenu « barbéfélène », a voulu, sans grand succès, donner des gages à la frange extrémiste afin de protéger ses prébendes. Est-ce alors dire qu’Islam et laïcité sont absolument incompatibles ? Y aurait-il une forme de conception que l’on pourrait appeler « totalitaire » inhérente à l’Islam à raison d’un lien indéfectible entre les 3 D : din (religion), dunya (monde) et dawla (Etat) ? C’est là un point de vue qui a longtemps et souvent été partagé par ceux qui se sont attachés à l’étude de la société musulmane et de sa structure étatique et retenue aussi par beaucoup d’analystes occidentaux.  Notes : 6) Cf. in
La Presse, 25 mars 1975. 7) Cité in Mohammed-Cherif Ferdjani, Islamisme, laïcité et droits de l’homme, L’Harmattan, Paris 1991, p. 325. 8) Cité in Mohammed-Chérif Ferdjani, Islamisme, laïcité et droits de l’homme, op. cit., p. 322) 9) Cf. El moudjahid, 2 septembre 1980. 

3 – Incompatibilité ou compatibilité de la laïcité à l’Islam ? Un débat mal parti et donc mal engagé Si le départ a été en partie raté, la poursuite de la quête d’une laïcité en terre d’Islam est-elle pour autant définitivement perdue et pour longtemps ? Difficile à dire, d’autant que nous ne lisons pas dans le marc de café et que l’on aurait mauvaise grâce à nous poser comme un prophète averti ; ceux-ci ne se trompent-ils généralement pas, qui nous annoncent de bons ou de mauvais futurs de façon savante et prétendument éclairée. On se bornera donc à proposer quelques petites observations à partir desquelles l’auditeur restera libre de choisir et de se prononcer lui-même sur la chose. Contrairement à ce qu’ont pu longtemps ressasser les orientalistes occidentaux qui, malgré leur très bonne connaissance de la pensée musulmane, n’ont pu totalement s’empêcher de la formuler d’après leurs propres concepts, cette pensée musulmane a, semble-t-il, 25 ans après la mort du Prophète, lors de la grande fitna (10) ou séparation entre courants religieux, n’a jamais formulé l’idée que la khalifa, ou l’imâmat, serait une obligation de religion, sans doute celui-ci est-il pour les sunnites une obligation « de tradition » ; pour les shiites, la question semble partager les clercs, certains la posant comme un pilier de la religion, d’autres en faisant simplement une obligation « de raison », mais en tout cas pas de religion. Ce qui oblige à constater que la question politique autour du khalifa, ou juridique, autour de la shariâ, n’ont jamais fait partie que de ce que l’on nomme en droit musulman les furû, ou « branches, institutions, droit appliqué, dépendances » et non des uçûl, ou « principiologie, questions fondamentales ». la question politique, clairement, ne fait donc pas partie des piliers de l’Islam, et cela même chez l’un des inspirateurs de la tendance extrémiste contemporaine, Ibn Taimiyya (1263-1328). Ibn Khaldun (1332-1406) dans ses Muqaddima, ou Prolégomènes, le dit lui-même : « La doctrine sur laquelle les chiites sont d’accord est que l’imamat n’est pas une simple question d’intérêt général qui doit être du ressort de la communauté musulmane, laquelle en investit une personne de son choix. Il est pour eux le pilier de la religion et le fondement de l’Islam » (11). En d’autres termes, l’imamat est du seul ressort de l’intérêt général et se situe donc bien au niveau des furû, dès lors que l’intérêt général, ou maçlâha, est l’une des sources productives de normes juridiques au sein de certaines écoles de l’Islam sunnite. Si l’on veut maintenant retenir Ibn Taimiyya, sa véritable doctrine ne se dégage que dans les cadres habituels de la scolastique sunnite. Cette dernière posait alors la question de savoir si l’investiture d’un imam, ou d’un khalif, à la tête de la communauté était une obligation de religion. La doctrine sunnite conclut que l’imamat était bien obligatoire, mais la nature de cette obligation fut diversement comprise en fonction des différentes écoles. Al Ghazali ne réussit jamais, malgré ses efforts en ce sens, à trouver à cette obligation formulée dans le Coran, ou dans
la Sunna, ou tradition du Prophète. Il se borna finalement à affirmer que la religion était intimement liée au temporel et que, pour pouvoir librement, elle exigeait l’ordre et la paix sociale. 

Par ailleurs, ce grand auteur, qui n’est pourtant pas l’un des plus libéraux, dit dans l’un de ses ouvrages, les Fadha Acih al-bâtiniyya, ou Révélations de ce qui est caché, que « les questions de droit sont de l’ordre du positif et du conventionnel. Elles diffèrent selon les situations des Prophètes et selon les époques et les communautés » (12). Il s’attaque donc à l’importance excessive que les shiites donnent à cette question qui ne fait ni partie des questions importantes de la scolastique, ni de celles qui relèvent de la raison ; aussi, plutôt que de susciter de fanatiques querelles, vaut-il mieux s’abstenir d’en parler. C’est ainsi dans le cadre de ce débat purement scolastique que s’inscrit Ibn Taimiyya, membre de l’école hanbalite, qui est la plus rigoriste de l’Islam sunnite. Il va considérer que l’imamat du Prophète était divinement inspiré, donc du domaine de la perfection idéale. L’imamat des quatre khalifes de Médine qui prirent sa suite n’a, quant à lui, qu’une perfection relative et conditionnelle ; il se justifie comme une obligation par le fait que le Prophète aurait ordonné de suivre ces quatre successeurs, d’autant qu’ils passaient pour avoir été les meilleurs des musulmans et que l’excellence de leur politique vient confirmer leur précellence. Ils présidèrent sur un Etat musulman unitaire. Mais l’évolution politique de la communauté unitaire de départ a fait prévaloir la multiplicité et ainsi, à ces khalifes canoniques succédèrent des rois temporels, mulouk. Dès lors, le khalifa unitaire ne présente plus aucun caractère d’obligation, d’autant plus que le Livre Saint lui-même n’a nullement décidé de la forme du gouvernement musulman et n’a en tout cas, pas tranché la question de la succession du Prophète. Le nombre des imams n’est donc pas limité dans l’Islam sunnite, au contraire de l’Islam shiite.  Décréter que le khalifa est une nécessité canonique reviendrait à placer les croyants devant une double alternative : leur imposer une tâche impossible en exigeant un unique chef pour une communauté qui a perdu toute cohésion, ou admettre la légitimité d’une institution devenue une pure fiction et introduire ainsi dans la vie sociale et politique un formalisme et une contrainte qu’Ibn Taimiyya chercha toujours à briser dans sa théorie des contrats (13). Ce qui veut dire que nulle part, si ce n’est chez les shiites et chez les plus extrémistes, jamais cette tradition n’a été vraiment contestée et surtout révisée. De la même façon, jamais en matière de sharf a, les divergences n’ont été vues entre les divers courants comme rédhibitoires : la pensée musulmane les a même d’une certaine manière magnifiées en les rattachant à un hadith du Prophète qui aurait affirmé que la divergence était une bénédiction de Dieu (14). Tant la question du politique (siyasa) que du droit (fiqh) ne font partie que des questions subsidiaires et conformément à cela, peuvent faire l’objet de controverses et de divergences. Plusieurs hadith font même dire au Prophète : « Je ne suis qu’un homme, si je vous ordonne quelque chose de votre religion, suivez-le. Si je vous ordonne quelque chose relevant de l’opinion, je ne suis qu’un homme », et aussi « pour ce qui est des affaires de votre religion, cela me revient, pour ce qui est des affaires de votre monde ici-bas, vous êtes mieux à même de le savoir ». On voit donc ici être nettement formulée par le Prophète lui-même une distinction sans équivoque de la religion et du monde et ne peut-on se demander alors si nos orientalistes ne se sont pas laissés gouverner par les idées que les religieux musulmans entendaient leur faire soutenir en prônant une non séparation de principe du spirituel et du temporel, qui serait quasi constitutive de l’Islam ? Ils auraient été ainsi aisément gagnés aux thèses extrémistes, sans en avoir conscience, ou avec des buts parfois plus inavoués, comme on peut parfois le relever chez un chercheur américain pourtant fort sérieux, mais ferme partisan de l’Etat d’Israël, Bernard Lewis. En somme, faut-il que les peuples musulmans souffrent de l’inquisition religieuse que nos pays ont connue durant de longs siècles depuis la fin de l’Antiquité sous la férule du christianisme d’Etat (Edit de Thessalonique de 380 ap. l-C.), qui dura en France jusqu’à la séparation de 1905, avant d’accéder à cette liberté de pénsée ? L’un des premiers auteurs à vouloir abattre les mythes forgés sur cette « unicité » du spirituel et du temporel dans le monde musulman est tout à fait intéressant ; il s’agit de Aalî Aabdarrâziq qui, lui-même théologien et enseignant dans la grande faculté religieuse Al Azhar du Caire, dont on peut penser qu’il connaissait bien ses sources, publia en 1925 un petit ouvrage, qui devait se révéler comme un véritable brûlot sous le titre AI Islâm wa uçûl al-hukm, ou L’Islam et les fondements du pouvoir. Il prit de parti de retracer l’histoire de l’institution califale en mettant à plat toutes les occultations dont elle avait fait l’objet et les mystifications qui l’avaient entourée dans l’imaginaire musulman.  Cet ouvrage a été récemment republié en langue française (15). L’auteur s’est attaché à montrer que le pouvoir temporel du Prophète sur la communauté multiconfessionnelle de Médine n’avait pas de rapport avec son rôle comme Prophète. Quand ce dernier mourut en 632, sa succession ne concerna jamais que les seules fonctions temporelles et il posa quelques observations qui fâchèrent l’institution à laquelle il était rattaché, qui le condamna pour « hérésie blasphématoire », lui fit perdre son poste et fit brûler son ouvrage. Examinons quelques-unes de ses conclusions. Sur l’institution califale elle-même : « On voit donc que ce titre de « calife » (successeur et vicaire du Prophète) ainsi que les circonstances qui ont accompagné son usage (…) ont été parmi les causes de l’erreur qui s’est propagée dans la masse des musulmans, les conduisant à prendre le califat pour une fonction religieuse et à accorder à celui qui prend le pouvoir parmi les musulmans le rang occupé par le Prophète lui-même ». De fait, le verbe arabe khalafa, duquel provient le nom khalifa, embrasse un champ sémantique assez large qui va de « prendre la place, remplacer » à « succéder, hériter ». Ce dernier terme est utilisé au singulier dans le Coran seulement deux fois, dans la sourate II, 30 et XXXVIII, 26 et a toujours été traduit de façon systématique en conformité avec le sens que lui avaient déjà attribué les grands commentateurs du Coran par « vicaire », « lieutenant » (16). Or, il semble bien que le verbe lui-même renvoie très directement à une succession temporelle et que, par conséquent l’être humain n’est pas un « lieutenant » de Dieu, mais son successeur, son remplaçant. 

Laïcité musulmane 

Mais la muraille théologique reste campée sur ses fondements. Tout cela remet bien en perspective la responsabilité propre et l’autonomie des gouvernements. L’auteur continue en concluant sur le rôle tenu par le pouvoir politique dans l’avènement de cette institution : « Il était de l’intérêt des rois de diffuser pareille illusion dans le peuple en vue d’utiliser la religion comme moyen de défense de leurs trônes et de répression de leurs opposants. Ils ont œuvré sans répit dans ce sens par de multiples voies (…) jusqu’à inculquer la croyance que l’obéissance aux dirigeants équivaut à l’obéissance à Dieu … que l’on se rappelle ici le propos tenu par Habib Bourguiba en 1975 -, et la révolte contre eux à la rébellion contre Dieu (…). Le système du califat a été par la suite annexé aux études religieuses, placé ainsi au même rang que les articles de la foi (…) Tel est le crime des rois et le résultat de leur domination despotique (…). Au nom de la religion, ils se sont appropriés les musulmans, les ont avilis et leur ont interdit de réfléchir sur les questions relevant de la politique (…) ». La confusion entre spirituel et temporel tient donc seulement aux gouvernants eux-mêmes, non à l’Islam comme tel : « En vérité, cette institution que les musulmans ont convenu d’appeler califat est entièrement étrangère à leur religion, tout comme les honneurs, la puissance, les attraits et l’intimidation dont elle a été entourée. Le califat ne compte point parmi les actions prônées par la religion, pas plus que la judicature ou n’importe quelle fonction gouvernementale ou étatique. Ce ne sont là que des actes purement politiques, pour lesquels la religion n’a aucun intérêt, qu’elle ne cherche ni à connaître ni à ignorer, et ne peut ni recommander ni rejeter. La religion les a abandonnés aux hommes pour qu’ils agissent en la matière conformément aux lois de la raison, à l’expérience des nations et aux règles de la politique. Il en est de même de l’administration des armées islamiques, de la construction des villes et des fortifications, de l’organisation des administrations, lesquelles ne constituent en rien des questions qui intéressent la religion. Elles relèvent plutôt de la raison et de l’expérience, des règles de la guerre, ou bien de l’art de la construction et des avis des experts. Aucun principe religieux n’interdit aux musulmans de concurrencer les autres nations dans toutes les sciences sociales et politiques. Rien ne leur interdit de détruire ce système désuet qui les a avilis et les a endormis sous sa poigne. Rien ne les empêche d’édifier leur Etat et leur système de gouvernement sur la base des dernières créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a été prouvée, ceux que [’expérience des nations a désignés comme étant parmi les meilleurs » (17). Face à une telle remise en cause de la « bonne pensée », cultivée par des tyrans qui se réclament trop souvent de la religion pour se trouver une forme de légitimité, seuls les procédés traditionnels ont été utilisés : l’anathème, l’injure, les pressions sur le pouvoir pour obtenir des sanctions contre l’hérétique, mais en tout cas, aucune proposition d’analyse des arguments présentés, dès lors qu’ils n’étaient pas même examinés, puisque d’emblée vus comme hérétiques, et partant blâmables. Il est assez curieux de voir qu’aujourd’hui, ceux qui restent malgré tout des « modernistes », prennent de multiples précautions pour éviter les foudres des salafistes, grossièrement, les tenants de la tradition des pères, dont certains hérauts sont même des cocottes de la presse occidentale, comme Tariq Ramadan, qui n’est que la face « correcte » de son frère, moins montrable en quelque sorte, et qui véhicule les idées les plus conservatrices. 

Nos pouvoirs politiques se font ainsi les meilleurs relais de ces tendances, eux-mêmes sans doute également interpellés sur leur propre légitimité. Il reste aujourd’hui aux intellectuels musulmans à se ressaisir hardiment de la pensée de leurs ancêtres et à reconsidérer les données de leurs propres cultures, voire les images longtemps portées, pour faire naître une laïcité musulmane, compatible avec les données de la religion, mais une religion cultivée et dégagée des pesanteurs de ceux qui n’entendent pas laisser couper la branche sur laquelle, à l’ombre des pouvoirs des dictateurs, ils sommeillent béatement, comme l’ont fait les clercs absolument partout. Pour conclure, ne peut-on dire que ce ne sont pas seulement les pays d’Islam qui sont traversés de tendances au repli sur soi-même si c’est pour dire une banalité. Remarquons que nos cultures, qui se présentent comme un phare pour le monde, ne sont pas à l’abri de ces mêmes reculs. La proposition de laïcité positive, telle que notre président l’avait faite valoir après avoir reçu son chapeau de chanoine du Latran auprès du pape, et tente encore de la faire valoir au gré des sondages, vise à remettre le religieux dans l’espace public en France, principalement le religieux catholique, un peu comme aux USA, dont on sait que notre président a fait son modèle, sans toujours en reprendre malheureusement le meilleur. Les énormités et les vulgarités que beaucoup, pas seulement l’homme de la rue, mais aussi des hommes et des femmes de gouvernement, ont pu lâcher au cours du débat sur l’identité nationale, se sont focalisées sur un Islam phobique et duquel on a aussi la phobie, oubliant que les mêmes idées sont partagées par de nombreux groupes juifs, catholiques, évangéliques, que l’on peut tous qualifier d’intégristes. Mais de là à dire que tous les tenants de ces confessions, Islam compris, sont complices de telles dérives, c’est aller beaucoup trop loin : la grande majorité des musulmans français, tout comme leurs concitoyens juifs, protestants, ou catholiques, n’aspirent qu’à une chose, c’est que des lieux décents de culte leur soient proposés et que la liberté de conscience, garantie par
la Constitution leur soit aussi garantie ; tous ne sont pas partisans d’un retour fantasmé à la shari a et se satisfont fort bien de la laïcité à la française. Si donc il y a une inquiétude, c’est sans doute là qu’elle se trouve. Il suffit de regarder que les pays européens se laissent gagner par la sottise la plus crasse soutenue par l’Intelligent Design, remettant en cause des acquis scientifiques pourtant solides et les réfutant au nom d’une idéologie devenue englobante et totalitaire. 

D. G. : (Université de Nantes -CDMO EA 1165 ; « Droit maritime et océanique ») Par Dominique Gaurier  (in El Watan 15-16-17 août 2010)

Dans : LAICITE EN DEBAT
Par Miloud Medjamia
Le 18 août, 2010
A 0:07
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le capitalisme n’est pas mort!

Le capitalisme n’est pas mort ! Je ne suis pas un théoricien planétaire. Je satisfais  d’aller dans la réplique à un auteur D’El Watan, bien intentionné. 

1- « Les Etats-Unis sont-ils en train d’enterrer le système capitaliste qu’ils ont toujours défendu à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières ? » 

Enterrer ou bricoler le capitalisme ? Les Etats-Unis et l’Occident capitalistes et/ou libéraux ont dépensé des sommes colossales pour combattre le socialisme (à chacun selon son travail) et le communisme (à chacun selon ses besoins). C’est presque un conte ou une narration intempestive. 

Le système capitaliste est si complexe qu’il échappe même aux capitalistes. Il va du capitalisme pur et dur à des formes précapitalistes. Dans les années soixante un grand travail avait été  fait sur la crise générale du capitalisme et le capitalisme monopolistique d’Etat par des chercheurs marxistes. Et à cet effet, ont été identifiés les processus internes qui ont imprimé un élan au capitalisme international dominant pour parvenir à l’internationalisation de la production puis survint la mondialisation et l’internationalisation des marchés. Le message scientifique citait Lénine qui considérait que le capitalisme n’était que « temporaire ». La régulation de l’Etat capitaliste et ceci malgré les contradictions, a toujours joué d’une manière fondamentale. «Plus d’Etat» n’est pas un phénomène nouveau, comme on veut nous le faire croire, car les capitalistes sont plus pragmatiques que cela, entre la déontologie, les théories et les pratiques, ils ont toujours su trouver les moyens pour assurer le profit. Ils sont capables de vous prouver que 2+2 font 5 ou 3. Ils disent que l’Etat ne peut pas faire faillite, ce n’est donc pas de l’étatisme mais une intervention de l’Etat, sans conséquence pour la contribution des deniers des citoyens. Bien au contraire, on cherche à conforter l’argent-dette, c’est-à-dire le crédit, avoir des liquidités, la confiance pour un retour rapide aux profits. Contrairement à ce que l’on pense, les banques produisent frauduleusement de l’argent, pour un dollar prêté, ils génèrent neuf dollars dans leur compte. Les banques peuvent-elles être ruinées, pas si sûr. Papa-maman viennent au secours, car ils sont dans les faits les Gouvernements et les implications entre eux et les dirigeants des Etats, frère et sœurs ! Par le passé, les banques centrales sont toujours venues au secours des banques en injectant des liquidités, dans le cas de crises ou de retraits massifs des déposants par exemple, juste pour réguler le bisness. 

Nous sommes en face d’une question aussi simple que complexe : la quantité des prêts aux consommateurs a chuté d’où les conséquences directes sur l’économie réelle, le pouvoir d’achat, l’emploi, etc. Mais dans le système capitaliste les Etats, les auteurs, les opérateurs, les financiers et les investisseurs, sont tous complices y compris au sein de l’économie réelle. On a juste le temps d’y voir une grande hypocrisie et s’en amuser. Qu’ont fait les Etats dans les cas des dérèglements des banques, lorsque la croissance n’était pas menacée ? Aujourd’hui, ils sont à la recherche d’un équilibre de la crise avec la croissance et donc de la stabilité politique globale. 

2- « Sont-ils en train de retourner au système interventionniste (socialiste/communiste) qu’ils ont toujours combattu » ? 

On sait qu’entre le socialisme/communisme et le capitalisme, il y a une contradiction fondamentale entre la collectivité et l’individu et comment satisfaire l’un et l’autre. Les « verts » occidentaux font de l’électoralisme uniquement sans comprendre que le capitalisme a d’énormes capacités d’adaptation. Le système capitaliste n’a presque jamais connu de crise de surproduction ou du moins il a atténué son impact par des interventions sévères au sein de l’Union européenne. Le dirigisme capitaliste et la régulation de l’économie ont joué leur rôle en direction de l’efficacité du système mais rien qui ne corresponde aux intérêts des groupes au détriment de la société et du service public. Donc toujours la subordination de l’Etat pour assumer sa grandeur et ses desseins géostratégiques. 

Cette crise ne doit pas ignorer les rapports avec les développements sociaux, les exigences de transparence des citoyens dans les relations sociales-économiques notamment en cette phase de mondialisation capitaliste. 

Au summum de ses victoires sur tout ce qui bouge et donne vie, voici (j’en doute) « l’effondrement » du capitalisme, à genoux de trop de richesses et d’argent. Nous, nous sommes innocents mais avec. 

Alors quelles questions devons-nous poser à notre gouvernement ? Aucune. Je tombe dans le sentimental objectif. Combien ce système basé sur le seul profit, l’exploitation et la corruption est haïssable et ne correspond à aucune valeur d’humanité. Du congrès de Tripoli encore ouvert, au socialisme « spécifique » réalisez-vous quel chemin de trahison parcouru notre Patrie et son  peuple ? Si je n’étais idéaliste, je vous dirais merde… 

Miloud Medjamia 21/10/08 

Dans : Exergue
Par Miloud Medjamia
Le 21 octobre, 2008
A 20:33
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le 14 septembre 2007 déclaration de Mehri Ait Ahmed Hamrouche

Déclaration 

De Messieurs : 

- Hocine AIT AHMED
- Abdelhamid MEHRI
- Mouloud HAMROUCHE 

Affligés par la situation que vit notre pays et gravement préoccupés par un possible nouvel engrenage de la violence : 

- Nous condamnons, sans appel, tous les attentats, partageons la douleur des familles des victimes et leur exprimons notre entière solidarité ; 

- Nous affirmons avec force que terreurs et violences ne sont pas les voies de l’espérance ; 

- Nous clamons que la négation du politique, la répression et l’exclusion ne sont pas des solutions aux multiples difficultés et impasses que connaît le régime ; 

- Nous sommes convaincus que la mise en place d’un processus de démocratisation du pouvoir, de son exercice et de son contrôle constitue le chemin de la sécurité nationale, de la stabilité et de l’espoir. 

- Nous sommes persuadés que toutes les composantes de la société s’impliqueraient et s’engageraient dans la concrétisation d’un tel processus ; 

- Nous restons préoccupés par l’évolution de la situation du pays et disposés à apporter notre contribution à la recherche de solutions de sortie de crise dans toutes ses dimensions. 

  

Fais à Alger le vendredi 14 septembre 2007 

Dans : Exergue
Par Miloud Medjamia
Le 6 août, 2008
A 13:55
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Une nouvelle Algérie est en train de naître, par Abed Charef

Une nouvelle Algérie est en train de naître 

par Abed Charef  QO jeudi 24 janvier 2008 


La grève des lycéens a dépassé ses promoteurs. Ce n’est pas une simple protesta, mais un nouveau pays qui émerge.

Ils sont jeunes, ils sont beaux. Ils sont l’innocence et l’aspiration au savoir. Ils manifestent dans la bonne humeur, formant des cortèges aussi joyeux que colorés. Ils ont pris possession de la rue de manière pacifique, et ont réussi, non seulement à se faire entendre, mais à gagner la sympathie d’une large partie de la société. La matraque du policier paraît désuète face à leur simplicité. Non, ils n’ont pas envie de casser, ni d’affronter qui que ce soit. Ils veulent simplement avoir une chance dans la vie.

Malgré les interdictions et les barrages, ils ont réussi à engager le plus beau mouvement de foule de ces dix dernières années. Ils ne connaissent pas la haine. Ils veulent simplement dire aux autres, aux adultes, à ceux qui décident, à tous les bureaucrates qui font de savantes analyses, que les jeunes Algériens ne veulent pas être condamnés à la triptyque harga-kamikaze-hitiste.

En ce mois de janvier 2008, les lycéens ont brusquement révélé qu’une autre Algérie est possible. Une Algérie où le citoyen a le droit de défendre ses droits, de manifester pacifiquement, d’exister. La grève des lycéens a révélé deux Algérie: l’une moderne, jeune, pacifique, ouverte, aspirant au savoir, et l’autre fermée, enfermée sur elle-même, prisonnière de réflexes dépassés et de comportements relevant d’autres temps.

En fait, il y a tant de symboles dans cette semaine de protestation des lycéens qu’il est impossible de les évoquer tous. On ne retiendra même pas le contenu de leurs revendications, ni les tentatives de pousser les protestataires à la faute. Personne ne s’attardera non plus sur les réponses des responsables du pays, qui paraissent en décalage total avec cette nouvelle jeunesse qui vient de surgir. A peine retiendra-t-on que le SMS et Internet ont joué un rôle clé dans cette mobilisation, battant à plate couture les méthodes désuètes du pouvoir, au travers d’un ministre de l’Education s’invitant au journal télévisé de 20 heures pour faire de nouvelles promesses.

Et puis, quelles promesses leur tenir ? Les rassurer quant au déroulement du baccalauréat ? C’est tellement dérisoire, face aux vrais enjeux dans lesquels ces lycéens se trouvent engagés et, avec eux, le pays tout entier. Car, quitte à rappeler une évidence, ces jeunes qui battent le pavé sont les futurs cadres du pays. Dans un mandat présidentiel, ils auront terminé leur formation universitaire. Dans quel état trouveront-ils le pays ? Quel marché du travail trouveront-ils ? Mais plus simplement encore, la formation qu’ils auront acquise leur permettra-t-elle d’entrer dans le monde du travail par la grande porte ? Que faut-il faire pour leur assurer une vraie formation qui débouche sur de vrais diplômes ?

Cette seule question serait suffisante pour remplir un mandat présidentiel. Y répondre, sur le terrain, justifierait une élection aux prochaines présidentielles. Le ministre de l’Education s’est d’ores et déjà disqualifié, en ayant recours aux menaces. Peut-on sanctionner un lycéen qui s’est absenté pour aller à une manifestation, fût-elle illégale ? En fait, les réponses approximatives des autorités révèlent une autre réalité: les enjeux de cette grève des lycéens, comme ceux d’autres conflits antérieurs, ne sont pas posés de manière rationnelle. Et pourtant, l’enjeu est énorme.

L’université algérienne compte aujourd’hui un million d’étudiants. Ils seront un million et demi à la fin du prochain mandat présidentiel. C’est l’équivalent de la moitié de la population du grand Alger ! Comment encadrer tout ce monde, lui fournir professeurs, outils de savoir, documentation, comment l’héberger et le prendre en charge de manière à le libérer de toutes les contingences quotidiennes pour qu’il puisse se consacrer aux études ?

Il faudra probablement multiplier par trois le nombre d’enseignants actuel, qui est de 35.000, pour assurer une simple mise à niveau de l’encadrement. Cela nécessite une action multiforme, à la fois pour former, ramener si possible les professeurs qui sont partis et injecter massivement des enseignants qu’il faudra chercher là où ils se trouvent. Il faudra donc non seulement arrêter l’hémorragie actuelle des départs, qui avoisinent le millier par an, mais engager un mouvement inverse de grande envergure !

En parallèle, il faudra construire massivement de nouvelles universités, pas seulement des annexes décidées à la va-vite, entre deux réunions, pas des garderies pour post-adolescents, mais de vrais pôles universitaires modernes, avec leurs équipements modernes, leur infrastructure pédagogique et technique, leur environnement et leurs liens avec la société. Il faudra y introduire massivement aussi les nouvelles technologies, mettre tout cela en réseau pour faciliter l’accès à la documentation, de quoi, en fait, motiver le pays pour se lancer dans une immense aventure de l’informatique. C’est une tâche gigantesque: les nouveaux arrivants à l’université durant le prochain mandat présidentiel représenteront à eux seuls l’équivalent de la population d’Oran !

La protestation des lycéens a montré les enjeux. A charge pour le pays de montrer qu’il a saisi le message et qu’il est en mesure de répondre au défi. 

 

Dans : Articles de presse,LA SOCIETE ALGERIENNE ET LE CHANGEMENT
Par Miloud Medjamia
Le 7 avril, 2008
A 16:56
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Une lecture « réformatrice » de la crise, Par Ammar Belhimer

Une lecture « réformatrice » de la crise Les économistes algériens de la première génération sont peu prolifiques, et peu bavards aussi, mais en dépit de la rareté de leurs écrits, ils s’accordent tous à souligner, à plus ou moins gros traits, la faillite des actions économiques initiées par les pouvoirs publics. Au risque de déplaire, notamment par omission, à certains d’entre eux, on constate qu’ils interviennent en fonction d’approches soit économétrique (Ahmed Souamès), soit générale (Abdelmadjid Bouzidi), soit politique (Ahmed Benbitour, Abdelatif Benachenhou et Ghazi Hidouci).  Nous dérogerons aux mœurs locales, empreintes de préjugés et d’exclusion, pour essayer de connaître la grille de lecture (et ce qu’elle suggère comme traitement) du courant réformateur, à la lumière des dernières interventions publiques de Ghazi Hidouci, principalement, et de Omar Benderra, accessoirement. Le dernier constat qu’établit Ghazi Hidouci sur la conduite de la politique économique (*) est sévère, profond, structuré et exigeant à l’extrême, voire sans appel : absence de discours élaboré, absence d’idées directrices, autoritarisme. Conséquence : aucune lisibilité, absence de crédibilité interne et externe et perte de confiance des acteurs économiques, absence de formule de régulation et précipitation pseudo-libérale. «Aujourd’hui, le champ politique est fermé et l’Etat livré à la ruse improductive des clans, à l’ambition sénile, à la déchéance sous toutes ses formes (…) Nous continuons de nous enfoncer dans la régression.» 

Ghazi Hidouci constate que le pouvoir est en panne «de pensée d’une politique économique quelconque» ; il ne perçoit l’existence ni d’un modèle économique libéral ni dirigiste ; «on fait n’importe quoi dans le désordre et il est difficile d’y discerner du sens» ; tout au plus lui concède-t-il «un mélange hétéroclite de recettes toutes faites sans idées directrices et sans cohérence, un autoritarisme sénile et capricieux bloquant tout débat, toute perspective de mouvement et ruinant la confiance des acteurs économiques nécessaire à la production et au fonctionnement des marchés». C’est le terreau idéal pour l’éclosion de «l’affairisme nocif, le creusement des inégalités et la multiplication des drames sociaux». Pourtant le pays ne manque pas de ressources. Non, argumente Hidouci, il ne s’agit que «de mauvaises réserves» : «Avec des moyens financiers considérables, la machine est en panne et les Algériens manquent de tout.» Que dire de l’usage fait de ces ressources ? Les excédents financiers extérieurs ont poussé le pouvoir à procéder au remboursement anticipé de la dette. Une décision qui lui semble inopportune compte tenu de «la situation de référence » et des «soucis de souveraineté et de stabilité financière et monétaire». Faute de quoi, le remboursement anticipé s’apparente à «l’apurement en catimini de dettes privées et publiques internes crapuleuses ». Il préconise alors, au préalable, «plutôt que de rembourser des dettes accumulées quelquefois de façon illégitime et souvent pour des raisons inavouables», de les auditer avant de négocier une restructuration des dettes «qui partagerait les coûts de façon moins inéquitable pour les finances publiques et les citoyens». En effet, pourquoi faire payer à l’ensemble de la communauté nationale, notamment la moins lotie, la charge de dettes destinées à constituer des créances douteuses, opaques, discrétionnaires et non remboursables? Une manière de traduire en termes élaborés le vieil adage arabe : «Qui mange, paie.» Si le remboursement anticipé absorbe une partie des excédents extérieurs nouvellement constitués à la faveur de l’embellie pétrolière et occulte le paiement en douce de dettes privées et publiques internes crapuleuses, qu’en est-il de l’usage fait du reste de la manne, notamment l’accumulation d’actifs à l’étranger? Là aussi, Hidouci anticipe que cela n’augure rien de bon : «Les gérants de portefeuille sur les marchés attirent les nôtres par des numéraires ridicules à court terme pour les mener à l’abattoir ensuite. Les Algériens et d’autres ressortissants de pays mal gérés ayant des excédents verront peut-être leurs banques centrales afficher, dans les prochaines années, des milliards de dollars de pertes à cause de la crise des emprunts immobiliers aux Etats-Unis, mais on ne pourra rien y faire, étant donné le manque général de responsabilité politique. C’est une grande prédation que les citoyens subissent sans contrôle.» Sur le court terme, il reste aussi à comparer ce que rapportent ces placements avec le coût de la dette interne à fort taux d’intérêt et dont il faudra bien assurer le service. Le Trésor rembourse la dette interne à des taux élevés alors qu’il reçoit des intérêts de plus en plus bas pour ses placements à l’étranger, négatifs en dollars constants. Sont conséquemment en voie d’être réunies «les conditions de la ruine explosive du pays par les spéculateurs». Il propose alors de «regarder de près l’endettement interne des compagnies qui investissent dans l’énergie et ailleurs et se couvrent pour l’amortissement de leurs dettes. Il faut voir ce que peut leur rapporter comme profits spéculatifs sur une année l’évolution comparée du dinar et du dollar sans qu’ils ristournent au fisc ces bénéfices… «Le résultat de tout ceci est la mise en place graduelle et sournoise d’un nouveau mécanisme de spoliation plus grave et plus pernicieux que celui de l’endettement des années 1970 et 1980 portant de graves préjudices pour la souveraineté financière, monétaire et politique d’une part et pour l’écrasante majorité des pauvres à revenus fixes dans ce pays d’autre part, au bénéfice des acteurs des marchés internationaux et de leurs intermédiaires sur le territoire national.» L’auteur reprend ici l’argumentaire d’une étude de 2004 mettant en avant des intermédiations mafieuses d’abord locales : «Depuis les années 1990, la culture de gestion économique par l’administration continue sous les formes renouvelées d’une privatisation «sélective» ; elle est revendiquée par le secteur privé industriel et de services non concurrentiel, car elle lui permet l’accès aux rentes de clientèle en matière de subventions, de défiscalisation et de crédit : le gouvernement transmet des injonctions au système commercial, financier et bancaire pour privilégier les opérateurs privés opérant sous protection des pouvoirs réels (comme l’a montré en 2003 le cas spectaculaire de la machine à détournements que fut l’éphémère Banque Khalifa) …» Plus loin, il est établi une filiation de type néo-colonial entre les prédateurs locaux et leurs parrains étrangers, en des termes qui donnent des sueurs froides aux souverainistes que nous sommes : «Les acteurs internes se transforment en pâles porte-parole des stratégies des acteurs étrangers : hommes politiques ou hommes d’affaires, aux premiers rangs desquels les Français ; ces derniers apportent à leurs correspondants algériens les nécessaires relais politiques sur le plan international et l’indispensable garantie «démocratique », ainsi que les instruments techniques internationaux de recyclage des produits de la spoliation (comptes bancaires dans les paradis fiscaux, avocats et financiers…). Les réseaux d’affaires étrangers, habitués à partager les détournements et à organiser leur distribution, ont agi durant toute cette période pour renforcer la subordination de l’économie algérienne aux firmes pétrolières occidentales et aux entreprises exportatrices (françaises et italiennes en particulier) assurant l’approvisionnement de la population en biens et services indispensables (…) Avec cette mise sous tutelle mal dissimulée des finances publiques et du système bancaire algérien, le pacte colonial se réécrit sans altération majeure, si ce n’est le déplacement de la responsabilité des politiques répressives vers des mains autochtones. Les privilèges que le droit international accorde aux Etats sont ainsi privatisés et utilisés aux fins des intérêts de réseaux délinquants nationaux et internationaux. Les récents scandales — non dissimulables — de banques en faillite démontrent que le Trésor public et
la Banque centrale participent aux transferts vers les places offshore des détournements frauduleux par des milieux d’affaires intégrés dans le cœur du pouvoir, insérés dans les mécanismes officiels de coopération et de commerce.» Quelles propositions peuvent suivre un constat aussi déprimant ? A la lumière de ce qui se passe autour de nous, Hidouci propose «trois grands thèmes d’analyse» : 
Ø      1 – une capacité de discernement et d’apprentissage qui fait émerger le «capital social collectif», clef de voûte pour sortir des «trappes de pauvreté », pour mettre en place des stratégies spécifiques efficaces et pour déployer des capacités productives ; 

Ø      2 – une intensification des échanges multiformes internes et externes maîtrisés et de construction d’une politique budgétaire, financière et monétaire contrôlée : «à l’endettement se substituent les flux d’investissements durables complétant l’épargne nationale bien rémunérée, faisant de la mondialisation, en dépit de ses injustices, un facteur favorable, soutenant les facteurs structurels internes» ; Ø      3 – la construction de configurations étatiques solides et bien souvent interventionnistes, basées sur des alliances politiques et sociales d’intérêts et une relative égalité sociale interne. 

Ainsi, quelles que soient leurs nuances quant à la gravité du bilan que dressent tous nos économistes, ils sont unanimes à réduire l’équation de la crise à sa dimension politique, à l’émergence d’acteurs représentatifs et libres. Comme s’il suffisait d’enlever une épine pour tenir la rose. A. B. 

(*) Depuis la publication de son livre Algérie, la libération inachevée, chez la Découverte en 1996, l’ancien ministre des Finances dans le gouvernement Hamrouche (1989-1991), s’est très peu exprimé. Il a, notamment, co-signé avec Omar Benderra, l’ancien P-dg du CPA, à la même période, une contribution Algérie: économie, prédation et Etat policier avant d’accorder, tout récemment — le 24 mars dernier — un entretien au site www.lematindz.net, sous le titre : «L’économie algérienne est en panne, l’avenir est sacrifié». 

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2008/04/01/article.php?sid=66382&cid=8 

Dans : LA SOCIETE ALGERIENNE ET LE CHANGEMENT
Par Miloud Medjamia
Le
A 16:42
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GHAZI HIDOUCI INTRAITABLE!!! Un grand patriote

Entretien avec Ghazi Hidouci :« L’économie algérienne est en panne, l’avenir est sacrifié »

LE MATIN, le 24 Mars, 2008 04:42:00 |

Ancien ministre des Finances (1989-1991) dans le gouvernement Hamrouche, Ghazi Hidouci, vit aujourd’hui à Paris où il travaille, entre autres, comme Consultant des gouvernements et des acteurs économiques, sur les politiques financières et commerciales. Il a enseigné un temps comme professeur associé Finances Internationales à l’Université d’Artois en France. Il est auteur de plusieurs ouvrages et travaux de recherche sur l’économie, le développement et les stratégies publiques, dont « Algérie, la libération inachevée » publié aux éditions
La Découverte. Observateur patenté de la scène économique algérien et mondiale, ce spécialiste de la finance dresse, dans cet entretien au Matin-dz, un constat alarmiste et sans indulgence de la situation économique algérienne actuelle, tout en proposant des solutions adaptées.
Le Matin-dz : Quel est votre bilan de la situation économique algérienne de ces dernières années. Diffère-t-elle de celle du temps où vous occupiez le poste de ministre des Finances. Quels sont ses points forts et ses lacunes ? Comment caractériser la situation économique présente ? Ghazi Hidouci : Ce qui s’impose immédiatement à l’observation, c’est l’absence de pensée d’une politique économique quelconque ; même la rhétorique du bréviaire court-termiste de l’Ajustement Structurel de la fin des années 90 a disparu. En lieu et place, on gribouille. Le discours, rare, mais surtout l’agitation de terrain, se manifestent par un mélange hétéroclite de recettes toutes faites sans idées directrices et sans cohérence, autoritarisme sénile et capricieux bloquant tout débat, toute perspective de mouvement et ruinant la confiance des acteurs économiques nécessaire à la production et au fonctionnement des marchés

- Grands travaux coûteux manifestant la nostalgie hors contexte des années 70, sans planification, sans hiérarchie, sans capacités d’administration et de réalisation publique et sans mobilisation du potentiel d’activité domestique.

- Ajustements macroéconomiques par le bas comprimant les salaires et détruisant la protection du travail, alignant le comportement budgétaire et monétaire automatiquement sur les normes des marchés spéculatifs, détruisant l’efficacité des mécanismes fiscaux et de protection sociale. Résultats : aucune lisibilité, donc absence de crédibilité interne et externe et perte de confiance des acteurs économiques ; c’est ce que les Algériens traduisent par économie en panne : une industrie publique et privée moribonde, des activités agricoles contrariées par un environnement commercial et financier hostile, le pouvoir d’achat des revenus fixes détruit par des prix alignés sur l’importation et une monnaie anormalement dévaluée, tout cela se traduisant par l’affairisme nocif, le creusement des inégalités et la multiplication des drames sociaux ….l’accumulation de mauvaises réserves….., Vous me demandez de comparer avec ce que j’ai connu dans les années 90. La question est intéressante, même si l’exercice me semble difficile. Je le commencerai par ce qui différencie très nettement les deux périodes : contexte politique de la gestion économique d’abord : - A l’époque, les gens vivaient un moment d’ouverture et d’espoir d’émancipation, souvent confusément et naïvement, mais toujours avec intensité. Ils avaient envie de faire face aux défis, de réaliser et de se réaliser et croyaient que c’était possible. Cela se passait certes dans la douleur et de graves tensions permanentes, cela s’accompagnait d’excessives manipulations et discours démagogiques, d’une faible gestion étatique, mais la vague de fond était là, imprégnant tout, dans la jeunesse, parmi les salariés, dans l’activité privée agricole, industrielle et même informelle, dans le secteur public. Le gouvernement était redevenu dans la transition un acteur parmi d’autres avec bientôt l’espoir qu’il devienne l’acteur de l’expression démocratique des autres..

Tout cela a été brutalement remis en cause par effraction, de façon injuste et illégitime par aveuglement. Nous y reviendrons peut-être, sinon à une autre occasion, car ce n’est pas l’objet de votre question. Aujourd’hui, le champ politique est fermé et l’Etat livré à la ruse improductive des clans, à l’ambition sénile, à la déchéance sous toutes ses formes. Les gens, pour le moins qu’on puisse dire, sont absents, découragés, hésitant entre l’émeute et la jacquerie incontrôlables et la souffrance patiente dans le silence.

Le contexte économique ensuite : – Sur le front intérieur, rappelons seulement que le débat sur les choix était ouvert au début des années 90 et beaucoup de choses, peut-être peu visibles 20 ans après, ont été réalisées; Les gens avaient confiance dans leur avenir et le gouvernement dont j’ai fait partie avait une politique économique lisible, affichée, débattue et combattue, mais explicite. Les dynamiques internes d’activités et d’échanges reprenaient avec force, l’impôt rentrait plus équitablement, les salaires étaient augmentés pour compenser la dévaluation, les agriculteurs s’émancipaient graduellement des tutelles…, la capacité sociale de ce peuple se construisait effectivement au dedans comme au dehors. Sans le sou, dans une situation de cessation de paiement de fait, les algériennes et les algériens existaient. Aujourd’hui, avec des moyens financiers considérables, la machine, comme nous l’avons déjà caractérisée, est en panne et les algériens manquent de tout. Sur le front extérieur, les situations sont totalement différentes ; Aujourd’hui nous vivons une situation inverse de celle des crises financières qui ont marqué les années 80. Le haut niveau des réserves de change accumulées par des pays comme le notre les protège mais la situation peut vite changer, la bulle du crédit et l’instabilité des changes se déplacent vers nos économies sous la forme d’inflation des prix et de capitaux spéculatifs. Conjoncturellement, nous avons bien plus de marges de manœuvres pour nous défendre et mieux préparer l’avenir mais nous ne le faisons pas. Dans les années 80 et 90, en 1982, la crise de la dette publique externe avait éclaté sous l’effet conjugué de la hausse des taux d’intérêt imposée par les marchés et de la baisse des prix du pétrole. Nous étions tenus de rembourser des sommes énormes alors que notre économie était improductive et fortement dépendante des échanges externes. Le dispositif budgétaire, financier et monétaire public était touché de plein fouet. Les capitaux financiers que nous avions inconsidérément empruntés auparavant se tarissaient alors même que les fortunes accumulées fuyaient abondamment. D’autres éléments de la situation mondiale différencient les situations. La tendance historique était à la baisse des prix des matières premières et à une dégradation des termes de l’échange entre les économies puissantes et fragiles, mais les algériens réagissaient comme on l’a signalé. Depuis 2005, les prix des matières premières sont repartis fortement à la hausse. Les réserves de change étaient nulles lors du pic de 1991, elles n’arrêtent pas d’augmenter aujourd’hui. A contrario, le prix des aliments explose aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas alors. De façon plus préoccupante, la dette privée et la dette publique interne des Etats augmentent très fortement dans les pays capitalistes mais aussi chez nous, l’instabilité des changes est une épée de Damoclès sur nos têtes. Tous ces phénomènes menacent de faire s’effondrer comme un château de cartes des systèmes financiers fortement connectés, nous mettant dans une situation économique et sociale catastrophique.

L’Algérie amorce une ouverture sur le monde, marquée par un changement de son modèle économique. De l’Etat protectionniste on glisse doucement vers une économie de libre marché régie par un capitalisme offensif. Est-ce que le pays est assez solide pour se permettre un changement de cap, d’autant que cette tendance a enfanté, en Russie, d’une oligarchie et d’un déséquilibre social inquiétant ? Comme je l’ai indiqué auparavant, je ne perçois l’existence ni d’un modèle économique libéral ni dirigiste, ni par conséquent des signes de changement. J’ai dit qu’on faisait n’importe quoi dans le désordre et qu’il est difficile d’y discerner du sens. J’ai plutôt le sentiment que nous nous éloignons ce faisant de plus en plus du monde en mouvement, ces pays émergents qui se mettent à compter aujourd’hui et dont nous aurions pu faire partie. Quand au monde dominateur en crise, nous nous y amarrons, plutôt comme une colonie docile, fournissant du pétrole et sous traitant sa gestion économique, mais aucunement comme partenaire. On est donc loin du risque que cela puisse nous faire du mal comme dans
la Russie d’Eltsine. Le mal de ce type est déjà fait, et à l’inverse de
la Russie de Poutine, qui s’en sort plutôt bien, nous continuons de nous enfoncer dans la régression. Comment peut-on préparer une insertion utile dans l’actuelle globalisation ? La question demeure entière en dépit de près de quinze ans maintenant d’encadrement macroéconomique par les recettes du FMI. Nous nous dirigeons sans savoir comment ni dans quels délais vers un monde économique multipolaire dans lequel la logique économique présente sera remise à plat : l’hégémonie du dollar sera de plus en plus contestée, les conflits sur tous les sujets traités à l’OMC s’accroîtront.
La Banque Mondiale et le FMI changeront de vocation. Nos débats sur les politiques à mettre en place par rapport aux régulations financières et commerciales internationales ne peuvent éviter ces nouvelles réalités. De nombreux pays d’Asie connaissent une croissance très rapide depuis les années 60 pour les premiers, les années 70 pour les autres. Aujourd’hui, cette réalité vaut largement pour
la Chine et l’Inde. Ces pays ont satisfait aux critères concernant la discipline budgétaire et monétaire et obtenu de forts taux d’épargne intérieure bien rémunérée (autour de 30% du PIB dans certains pays). Ils se sont au contraire peu souciés, à juste titre, d’excédent à priori de balance commerciale, mais ont offert des marges appréciables de rendement aux investissements directs. S’ils ont choisi des stratégies de croissance tirées par les exportations, c’est en prenant bien soin de protéger leurs marchés intérieurs là où ils avaient des industries naissantes et surtout de créer des débouchés attractifs en ville pour les cultures vivrières produites par leurs agriculteurs. Ils ont ainsi pris soin, par des politiques internes appropriées, de faire progresser les revenus de tous avec le souci d’une relative réduction des inégalités. Plus que tout, ils ont veillé à doter l’Etat d’une capacité effective d’exercice de sa souveraineté et de son autonomie. Nous voyons s’opérer là, efficacement, les choix d’un développement hors du chemin tracé par l’ajustement structurel, d’abord à partir de la transformation de l’Etat. Cette région renoue avec la croissance et expérimente des instruments de construction d’un marché régional et de mécanismes de financement moins dépendants du dollar et de la spéculation à court terme sur les monnaies. Elle fait le choix de s’éloigner de la pratique de l’endettement international et engage partout des politiques publiques destinées à lutter contre les inégalités et pour le développement d’infrastructures urbaines permettant aux pauvres un meilleur accès à la ville. L’étude approfondie des enseignements de ces pratiques et de leurs conséquences sur les négociations internationales aiderait beaucoup notre gestion économique pour progresser vers de bonnes propositions en matière de développement. Dans le cas de l’Asie puis graduellement de l’Amérique, trois grands thèmes d’analyse apparaissent à priori décisifs:

· La capacité de discernement et d’apprentissage qui fait émerger le « capital social collectif», clef de voûte pour sortir des « trappes de pauvreté », pour mettre en place de stratégies spécifiques efficaces et pour déployer des capacités productives. · La nécessité d’intensification des échanges multiformes internes et externes maîtrisés et de construction d’une politique budgétaire, financière et monétaire contrôlée. A l’endettement se substituent les flux d’investissements durables complétant l’épargne nationale bien rémunérée, faisant de la mondialisation, en dépit de ses injustices, un facteur favorable, soutenant les facteurs structurels internes. · La construction de configurations étatiques solides et bien souvent Interventionnistes, basées sur des alliances politiques et sociales d’intérêts et une relative égalité sociale interne.

Pour vous, c’est une erreur stratégique que le gouvernement algérien ait décidé de rembourser par anticipation ses dettes extérieures. Pourquoi ? C’était peut-être le prix à payer pour que l’Algérie puisse s’affranchir de l’influence de ses anciens créanciers ?

A chaque période particulière, il faut décrire et mesurer correctement l’état de l’endettement du pays. Les tendances susceptibles de conduire à des difficultés économiques, sociales ou politiques se modifient en fonction de la conjoncture à court et moyen terme. Seule la situation de référence est significative : c’est celle qui évite le contrôle de la politique monétaire et financière par les marchés dominants et le détournement par ces marchés des profits et des rentes au détriment de l’économie nationale. Les indicateurs pertinents de l’endettement sont en définitive ceux qui mesurent l’efficience des politiques publiques financières et monétaires : Nous devons répondre avec les moyens du moment aux soucis de souveraineté et de stabilité financière et monétaire. Quels en sont les indicateurs, qu’en était-il en 90 et qu’en est-il aujourd’hui ? Sans rentrer ici dans les aspects techniques, disons qu’un indicateur de qualité de la politique financière et monétaire doit être immédiatement et politiquement compris par les acteurs économiques et sociaux. Il doit simultanément pouvoir être évalué et audité sans perdre sa signification dans le temps. Il doit enfin se prêter aisément aux comparaisons internationales. Une première remarque s’impose à ce niveau : les indicateurs de
la Banque mondiale, ont une pertinence statistique certaine ; ils sont néanmoins destinés à mesurer la capacité des pays à fondamentalement respecter les exigences des créanciers que sont les marchés internationaux ; ils ne disent rien de la capacité des finances et de la monnaie à se conformer aux exigences économiques et sociales du développement durable national et local. Pour cette raison, il nous apparaît nécessaire de produire des indicateurs dont la vocation sera de juger de la portée économique et sociale des politiques financières et monétaires et de mettre à jour la charge effective que représentent ces politiques sur le développement durable dans notre pays. Pour cela, il est d’abord nécessaire d’identifier en quoi la charge financière effective du service de la dette interne et externe, des dégrèvements fiscaux, des subventions déguisées ou visibles aux marchés…,dans ses composantes financières et aussi monétaires, capte inutilement des fonds pouvant être disponibles pour des utilisations socialement et économiquement plus bénéfiques dans le cadre d’une politique financière et monétaire souveraine. Le débat politique utile revient ainsi à évaluer et apprécier les politiques publiques en comparant ces charges aux rentrées fiscales de l’Etat, aux budgets de la santé, de l’éducation et des autres services publics de base, à la masse salariale de la fonction publique et au montant de l’investissement dans l’alimentation de base et l’urbanisation. A partir du moment où les prix de l’énergie exportée sont partis durablement à la hausse, nous avons abondamment entendu vanter des mérites qui n’ont aucun lien avec les politiques publiques nationales :
· Le remboursement anticipé des dettes aux IFI a été présenté comme une grande manifestation d’indépendance. On en a fait l’apologie comme on a osé faire l’apologie de l’apurement en catimini de dettes privées et publiques internes crapuleuses. La bonne politique et la véritable innovation aurait consisté à utiliser la marge de manœuvre crée par les nouvelles ressources pour faire une audit sérieuse des dettes internes et externe et exiger une restructuration de la dette à des conditions favorables pour la société. Ces dettes, en grande partie illégitimes, ont été payées déjà plusieurs fois. L’apologie des remboursements anticipés et des apurements internes est la manifestation d’une grande ignorance des responsabilités. Elle fait diversion et évite une nouvelle fois de poser la question de fond des malheurs de l’endettement et des conditions pour s’en sortir courageusement. · On ne cesse également de se féliciter de l’accumulation d’actifs à l’étranger, constitués fondamentalement par des réserves internationales. Pour être objectif, il faut comparer le mouvement des réserves à celui de la dette interne à fort taux d’intérêt et dont il faudra bien assurer le service, qu’il faut alors déduire des réserves et aussi comparer aux dépenses utiles citées antérieurement. Le Trésor rembourse la dette interne à des taux élevés alors qu’il reçoit des intérêts de plus en plus bas pour ses placements à l’étranger, négatifs en dollars constants. Heureusement, au passage que la libre circulation des capitaux n’est pas encore à l’ordre du jour ; de telles mentalités, associées au laxisme fiscal et aux taux d’intérêt élevés, produiraient les conditions de la ruine explosive du pays par les spéculateurs. Mais cette évolution n’est-elle pas annoncée ? Il faut regarder de près l’endettement interne des compagnies qui investissent dans l’énergie et ailleurs et se couvrent pour l’amortissement de leurs dettes. Il faut voir ce que peut leur rapporter comme profits spéculatifs sur une année l’évolution comparée du dinar et du dollar sans qu’ils ristournent au fisc ces bénéfices….Le résultat de tout ceci est la mise en place graduelle et sournoise d’un nouveau mécanisme de spoliation plus grave et plus pernicieux que celui de l’endettement des années 70 et 80 portant de graves préjudices pour la souveraineté financière, monétaire et politique d’une part et pour l’écrasante majorité des pauvres à revenus fixes dans ce pays d’autre pat, au bénéfice des acteurs des marchés internationaux et de leurs intermédiaires sur le territoire national.

Les privatisations sont actuellement le chantier en cours en Algérie, notamment dans le secteur bancaire avec l’ouverture du capital de
la CPA. Le moment n’est-il pas mal choisi pour privatiser les banques, étant donné l’incertitude qui règne dans le milieu financier mondial suite à la crise des subprimes ?

Lorsque certains cercles algériens parlent de privatisation aujourd’hui, ils donnent le sentiment de considérer qu’il n’existe d’appropriation que sous la forme de la société anonyme ou personnelle. Cette hypothèse résulte peut être de la pratique décourageante des sociétés nationales des années 70. Il en résulte une compréhension erronée des enjeux et du processus de ce qui est appelé les mécanismes de marché dans la transition. Elle a entraîné en particulier la guerre à toute forme de propriété publique, et hâtivement dans l’élan, la guerre à la régulation étatique (ou sous d’autres formes collectives de coordination) des activités productives à moyen et long terme. Les « « combinats », (pour parler comme de notre temps), ne sont pas des entreprises au sens donné à ce mot dans les capitalismes. C’étaient des morceaux d’Etat inscrits dans une rationalité non « économique » : objectifs productifs, sociaux, rentes politiques étaient inextricablement liés. On ne passe pas d’une forme à l’autre en empruntant brusquement et sans discernement aux évaluations dites de marché, surtout lorsque ces marchés n’existent pas par ailleurs. Il faut d’abord séparer dans les fonctions des anciennes sociétés nationales. Il faut mettre en évidence séparément les fonctions productives évaluables en termes de marchés, (en faisant attention à ce que la production ne s’effondre pas au passage, ce qui n’est nullement garanti). Il faut traiter à part la question du coût réel final de la force de travail et non uniquement celui de la rémunération monétaire immédiate. Tout ceci doit être fait avant d’aboutir à une valeur d’échange permettant de vendre. Nous avions en d’autres temps proposé des mécanismes de « transition » tenant compte de ces réalités( fonds de participation, travailleurs organisés dans les conseils d’administration, administrateurs de biens dialoguant avec la planification,) …d’autres formules peuvent, comme dans le cas de
La Chine, être développées. Mais l’absence de formule de régulation et la précipitation pseudo-libérale n’aboutissent qu’à des impasses ; Le lieu de l’impasse est bien l’impossibilité de la privatisation des banques et d’autres grandes sociétés nationales. On a tenté d’en vendre à des entreprises étrangères, très généralement sans succès ; c’est pour cela que le serpent se mort la queue depuis si longtemps. S’agissant des banques le schéma se complique du fait de mauvais exemple donné par la gouvernance des banques étrangères dans le développement de la crise de crédit actuelle. Est-ce le moment d’ouvrir notre système d’intermédiation à la spéculation incontrôlée dont elles sont les principaux vecteurs ? Faut-il le faire au moment où certaines se font re-nationaliser ou racheter à vil prix ? Il faut être prudent à ne pas privatiser les bénéfices quand tout va bien et socialiser les pertes quand tout va mal. Il me semble que les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Il faut aborder la question de leur appropriation dans le cadre de la politique financière et monétaire choisie, et définir préalablement celle-ci. Elles sont à l’épicentre du fonctionnement de l’économie. Nous ne pouvons faire l’impasse sur ces choix.
Que vous inspirent ces quelques chiffres : 110 dollars le baril de pétrole, le smic à 12 000 DA, 1000 DA le prix d’un bidon de cinq litre d’huile de table, 40% de jeunes actifs au chômage ? Ce qui frappe pour nous, c’est la déshérence de l’Etat et des politiques publiques. C’est de là que découlent, tant les graves tensions internes que l’absence d’autonomie face aux commandements arbitraires et spoliateurs des marchés. Au delà, expliquant également la prégnance des rapports de subordination aux marchés, les rentes énergétiques, accaparées pour l’essentiel par les clientèle du régime et les compagnies, ne se sont que très peu transformées en investissements productifs et encore moins en dépense publique. L’augmentation récente des prix mondiaux, qui a amélioré la balance des payements ne s’est encore nulle part traduite par une manifestation d’autonomisation de la décision économique. Le gouvernement continue de compter sur l’amélioration des conditions d’endettement pour se maintenir à flot. Les politiques pour l’avenir sont sacrifiées, laissant la voie libre à l’exode rural, la ruine des agricultures vivrières et la privatisation sauvage des services publics de réseaux. Pour en sortir, l’Etat doit être profondément transformé, d’où également l’importance stratégique du développement territorial.

Que pensez-vous de la manière dont sont gérées les réserves de changes avec un dollar en chute libre et l’onde de choc de la crise des subprimes qui a tendance à s’élargir. Algérie est-elle à l’abri d’éventuelles répercussions sur son économie ? Depuis 2004, nous vivons une conjoncture d’augmentation des recettes d’exportation et d’accumulation d’importantes réserves de change. Comment les utilisons-nous ? La gestion des réserves est guidée par un automatisme pervers. Les banques d’investissement dont la politique est établie par les spéculateurs en dollars, poussent les gestionnaires centraux par des moyens non affichés et non contrôlés, à accepter des risques inconsidérés. Dans une telle situation, les déperditions et les détournements de toutes sortes peuvent se développer. Dans cette absence d’encadrements responsables, personne ne répond à long terme pour les pertes sur les comptes d’investissement, alors qu’elles sont punissables de peines de prison par la loi. Les gérants de portefeuille sur les marchés attirent les nôtres par des numéraires ridicules à court terme pour les mener à l’abattoir ensuite. Les algériens et d’autres ressortissants de pays mal gérés ayant des excédents verront peut-être leurs banques centrales afficher, dans les prochaines années, des milliards de dollars de pertes à cause de la crise des emprunts immobiliers aux Etats-Unis, mais on ne pourra rien y faire, étant donné le manque général de responsabilité politique. C’est une grande prédation que les citoyens subissent sans contrôle.

Pour finir, avez-vous des idées ou des recommandations à suggérer à l’actuel ministre de l’économie algérien ?

Pour en finir avec la question précédente, Nous avons effectivement remboursé de manière anticipée des dettes au FMI, à
la Banque mondiale, au Club de Paris et aux banquiers privés. Je n’ai jamais déclaré à ce propos qu’il ne fallait pas se débarrasser de ces titres. J’ai défendu l’idée d’une stratégie alternative à deux volets : -Plutôt que de rembourser des dettes accumulées quelquefois de façon illégitime et souvent pour des raisons inavouables, il vaut mieux d’abord les auditer, ce qui est valable aussi pour la dette interne, puis négocier une restructuration des dettes qui partagerait les coûts de façon moins inéquitable pour les finances publiques et les citoyens. C’était déjà ce que j’avais tenté en 90 sans pratiquement de marges alors qu’aujourd’hui nous en avons les moyens.- Ne pas laisser passer une opportunité historique pour réduire les stocks volatils en laissant flotter le dinar vis-à-vis d’un dollar en chute libre, construire une politique budgétaire, financière et monétaire propre pour investir sur le marché intérieur plutôt que sur un marché financier défaillant. Absolument rien, sauf l’aveuglement et le manque du sens des responsabilités ne nous empêche de mettre les investissements à notre portée au service d’un projet alternatif aux marchés instables. Ces investissements pourraient constituer de puissants leviers pour la mise en place de politiques de renforcement du secteur public et privé productif et développer la solidarité économique et sociale, en en appliquant le principe de la justice et de l’égalité dans la distribution de la rente et de la richesse produite.Ces exercices sont d’abord politiques ; ils ne relèvent pas de la technique hors contexte ; le ministre de l’économie du moment pourrait en proposer le débat et les choix sur la scène appropriée : le champ politique. Encore faut-il que ce champ existe…
Interview réalisé à Paris, par Fayçal Anseur

 

Dans : LA SOCIETE ALGERIENNE ET LE CHANGEMENT
Par Miloud Medjamia
Le
A 16:33
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“Pourquoi les régimes politiques arabes ne sont-ils pas démocratiques ?”

Communication de Mouloud Hamrouche lors des débats d’El Watan à l’hôtel Essafir (jeudi 13 décembre 2007)

“Pourquoi les régimes politiques arabes ne sont-ils pas démocratiques ?” 

Je voudrais d’abord remercier les responsables d’EI Watan et toute l’équipe du journal pour cette invitation. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui ont fait le déplacement pour assister à ce débat, ce qui est révélateur d’un paradoxe entre, d’une part, l’intérêt des Algériens pour le débat politique, et l’insuffisance, sinon l’absence des espaces pour le débat, d’autre part. 

On m’a invité à répondre à une question qui se pose avec acuité : « Pourquoi les régimes politiques arabes ne sont-ils pas démocratiques ? » je vais essayer d’y répondre en évoquant en premier lieu la démocratie et les élites, ensuite la tentative algérienne de démocratisation, pour déboucher sur l’ébauche d’un processus de démocratisation. Le monde change sans cesse et les sociétés s’adaptent. Toutes les sociétés ne s’adaptent cependant pas aux mêmes rythmes, de la même manière et aux mêmes coûts. Il y a, aussi, celles qui échouent. Les élites ainsi que les institutions jouent un rôle primordial dans ces adaptations. Les sociétés se gouvernent par des règles qui sont le fruit de l’expérience, de l’accumulation et par la synergie de toutes leurs composantes sociales. Les élites, ce sont ceux et celles qui dominent et influencent au niveau de la justice, de l’armée, des administrations pérennes et des représentations sociales, politiques, syndicales, économiques, scientifiques et culturelles. L’absence ou l’échec de la démocratisation dans le monde arabe ne peut s’examiner en dehors d’une évaluation sans concessions des comportements, des attitudes et des influences de ses élites. Débattre de la démocratie, c’est aussi évoquer comment fonctionne et s’exerce l’autorité dans une communauté nationale. D’autant que la réalité humaine aujourd’hui tend vers une convergence des modèles de gouvernance étatique, économique, sociale, culturelle et sécuritaire. La question est donc : « comment s’acquiert, s’exerce, se limite et se contrôle le pouvoir dans le monde arabe ? » Fondée prétendument sur l’adhésion et le consentement du peuple, la gouvernance arabe fonctionne en dehors de toute représentation politique de la société, et de tout contrôle citoyen. L’exécutif s’identifie volontairement à la nation et à l’Etat. Il présente ses décisions comme émanant de la nation, et comme étant toujours en conformité avec les impératifs de sa souveraineté, de sa sécurité et de ses intérêts. Ces conditions ont conduit à l’établissement d’une gouvernance d’un type particulier et façonné une manière insolite d’exercer le pouvoir. Cela a entraîné une confusion entre l’étatique, le sécuritaire, le politique, le religieux, l’économique, le social et le culturel. Revêtue de tous ces habits, la gouvernance est devenue un ordre autoritaire établi sans nuance, sans limitation et sans contrôle. Mieux, elle s’est ordonnée législateur en chef, policier en chef, juge en chef et imam en chef. Dans son essence, le régime arabe, comme tout régime autoritaire, n’est pas aménagé de sorte à demeurer compatible avec les droits et les libertés des citoyens. Un exercice institutionnel et légal du pouvoir lui est étranger. Il ne considère pas la Constitution et les lois comme des limitations à son autorité, mais comme des contraintes à imposer à la société et aux contestataires. Il ne répond pas aux exigences d’être issu d’un scrutin sincère et régulier, élu par une majorité de citoyens pour exercer un mandat prédéterminé et des pouvoirs préétablis. Il ne tient pas à un fonctionnement institutionnel, ni au respect des droits et des libertés individuelles et collectives. C’est pourquoi l’absence de liberté d’opinion, de presse, de pensée, d’association, de réunion et d’adhésion n’est pas un problème, mais une solution. Une telle approche devait tenir sans doute, des questions de sociologie, de religion et de culture. Ces jugements sont à nuancer, car tous les régimes arabes ne sont pas totalement identiques, notamment les monarchies du Golfe. C’est pour toutes ces raisons que la gouvernance arabe, dès qu’elle est confrontée à une crise interne profonde, perd de son efficacité, de sa cohésion, et perd l’adhésion et le soutien de l’opinion nationale. Cela conduit, également, à des enchaînements majeurs, une rupture des rapports entre la population et le régime. Ceci se traduit par la perte de confiance dans le système de légitimation et d’arbitrage par lesquels le pouvoir exprime une volonté au nom de la communauté nationale. Tout cela aboutit à accréditer l’idée de l’impossibilité de la solution démocratique, ce qui sert d’alibi pour revenir ou maintenir un régime autoritaire qui conviendrait davantage pour préserver la stabilité, arrêter la violence, stopper les dérives et rétablir le droit dans la cité arabe. 

1. La tentative algérienne : La rupture d’octobre 1988, l’adoption de la Constitution démocratique de 1989 et la volonté manifeste de la société de rompre avec les pratiques politiques établies avaient entrouvert la voie pour un processus de démocratisation. Cette brèche aurait pu offrir une chance à la résorption de la crise du passage d’un système finissant à la démocratie et à l’accomplissement d’un progrès certain, bien que l’entreprise manquait cruellement d’appuis et de soutiens affichés. Il fallait renforcer les institutions parlementaires et judiciaires, et encourager la liberté de la presse et le contrôle. La conjoncture était caractérisée par une crise de confiance et par une perte de crédibilité. L’édifice politique national connaissait une impasse idéologique, des dissensions politiques et une désagrégation de la représentation sociale. La situation exigeait des réformes profondes et de régulations nombreuses, pour pouvoir engager la nation sur la voie de la réforme de sa gouvernance. La mobilisation et l’engouement de la population ont très peu passionné nos élites. Une majorité des élites a adopté une attitude de méfiance ou de neutralité. Elles n’ont pas soutenu la revendication démocratique et n’ont pas accompagné la société dans sa quête de changement. L’exaltation populaire a été, malheureusement, saisie par le courant contestataire qui cherchait plus la chute du régime que sa démocratisation. Refusé par la bureaucratie politique, repoussé par des élites au pouvoir, rejeté par des porte-parole de la contestation, le processus d’ouverture est dévoyé en un pluralisme factice, une perversion de la politique et une corruption de l’élection. Ce processus a subi ainsi un triple revers. Ces revers ont mené à l’impossibilité de retrouver la sérénité et la stabilité, d’établir à nouveau des rapports sociaux féconds et de regagner un minimum de fonctionnement institutionnel légal. Coupé de la société, de ses préoccupations et de ses problèmes économiques, sociaux, culturels et sécuritaires, le gouvernement continue à être issu et aménagé d’en haut. Il est la proie d’un jeu clanique et l’objet d’influences de clientèles organisées en réseaux. Le semblant de pluralisme politique n’a pas permis de garantir ni la stabilité, ni la sécurité, ni de mener un processus de démocratisation et de modernisation, ni de résoudre les grands dossiers qui conditionnent le devenir du pays, ni de répondre aux demandes pressantes des citoyens. Le système politique s’est révélé incapable de corriger tant d’erreurs, de relever tant de défis, d’opérer tant de réformes, et d’introduire tant de régulations. Il n’a pas pu produire de solutions ni faire évoluer les rapports socioéconomiques. Sans doute, le pays était fortement influencé par les conditions de sa colonisation et les conditions de sa libération. C’est, en effet, un pays dont l’histoire a retenu la révolte comme action de refus et de survie, et la répression et la violence comme moyens de régulation et de gouvernance. Ces forts legs de l’histoire suscitent toujours ressentiments et méfiances. 

2. Régimes arabes et démocratisation :  On peut diverger sur les raisons et les mécanismes qui bloquent la démocratisation des régimes arabes. On ne peut, par contre, que conclure à l’inaptitude des régimes arabes à se démocratiser ou à créer les conditions d’une démocratisation négociée. Car leur modèle de gouvernance est une survivance du système colonial. Les gouvernants sont dans un rapport de domination, et non dans un rapport de forces. Ils distribuent la rente et les privilèges. Ils redoutent les mécanismes de création de richesses. Ils craignent l’autonomie des citoyens et de la société. C’est pour toutes ces raisons qu’ils écartent la modernisation de la gouvernance, se méfient des institutions autonomes, des partis politiques et de la représentation, et de la représentativité sociale. Une démocratisation dans le monde arabe exige donc au préalable, un minimum d’ouverture, de régulation et d’instruments de contrôle. Un changement initié en dehors du régime ne peut aboutir, mais un processus de démocratisation ne peut s’élaborer en vase clos en dehors de la société et sans son contrôle. Le processus de changement doit donc venir simultanément de l’intérieur du régime et de la société. Il serait hasardeux de croire qu’un système démocratique est immunisé. Aucune loi et aucune force armée ne peut garantir à elle seule la pérennité d’une démocratie. Cette dernière ne s’installe dans la durée et ne se protège que s’il y a une justice indépendante, un pouvoir législatif représentatif, un citoyen imprégné de son rôle et défendant ses droits, ses libertés et celles des autres, ainsi qu’une presse libre. Je vous remercie. 

Mouloud Hamrouche 

Dans : LA SOCIETE ALGERIENNE ET LE CHANGEMENT
Par Miloud Medjamia
Le
A 16:15
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Protégé : ESPACE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE POUR UNE ALTERNATIVE DÉMOCRATIQUE (ESCAD)

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Dans : Non classé
Par Miloud Medjamia
Le
A 16:10
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Avertissement

Mon blog http://medjamia.unblog.fr a été piraté, ainsi que ma boîte mmedjamia@hotmail.com. Sur le même thème, je viens de recréer un nouveau blog « la société algérienne et le changement« . Si la société algérienne est contrainte à l’immobilisme, les missions des intellectuel et celles de la société dans son ensemble est de lutter contre cet autoritarisme politique et sanguinaire qui pèse ostensiblement de tout son poids de torpeurs insidieuses. Il n’a pas de place dans nos rêves ni dans nos ambitions pour ce pays, bien qu’il se couvre du burnous du nationalisme le plus étroit, réactionnaire et dans de truculents intérêts de la Nation accaparée.  

Ecrire et se battre pacifiquement avec raison et consistance, c’est reconnaître que les écrits et témoignages restent, en leur temps, invaincus.

Les hommes de nos malheurs n’auront aucune chance de survivre à notre intelligence et à nos rêves.

L’espoir existe lorsque nous aurons chassé le chant du malheur, de la pauvreté, du désespoir longitunal et des usurpateurs de la gloire que mérite notre peuple.

Miloud Medjamia

Dans : Exergue
Par Miloud Medjamia
Le
A 15:54
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